Les soignants et la mort

Schepens Florent

ERES

Extrait de l'introduction de Florent SchepensEn France, les progrès dans le champ de la santé entraînent, à partir du XVIIIe siècle (Adam, Herzlich, 2002), une transition épidémiologique qui voit les maladies infectieuses disparaître progressivement. Ce processus s'accélère au XIXe siècle grâce à la naissance de la médecine anatomo-clinique. L'importance de cette dernière ne fera que se renforcer au fil du temps, notamment avec, dans les années 1950, «la révolution antibiotique», transformant des maladies infectieuses mortelles en infections vénielles. Ces victoires s'inscrivent dans un processus de scientifisation de la médecine avec une utilisation de plus en plus pointue de la technologie. Cette maîtrise toujours plus importante des pathologies ne s'est jamais démentie. C'est ainsi qu'en 1967, la première greffe cardiaque eut lieu et avec elle apparaît l'idée que la médecine est potentiellement toute-puissante (ibid). Toute-puissante d'une part car la transplantation cardiaque a nécessité une modification de la définition de la mort, passant du critère cardiaque au critère encéphalique: la médecine a alors le pouvoir de redéfinir la mort; d'autre part car elle semble toucher à l'immortalité: si on peut remplacer, grâce à la transplantation, les organes défaillants d'un corps, la mort tend alors à se présenter comme une exception. Elle prend le statut d'événement qui «aurait pu être évité, si...» (Baudry, Higgins, Ricot, 2006, p. 10). Dès lors, les formidables progrès de la médecine sont source d'immenses espoirs et la population française est tentée de croire que pour la science médicale rien n'est impossible, qu'il y aura toujours un nouveau traitement, une nouvelle technique qui nous permettra d'éviter la mort. Comme le rappelle Higgins, le médecin de Franco déclarait après la mort de ce dernier qu'on aurait pu le sauver organe par organe.Pour autant, même si nous avons demandé l'impossible à notre médecine, son efficacité a ses limites. En effet, les années 1970-1980 inventent l'acharnement thérapeutique (Szabo, 2007): on maintient des individus en vie, préservant une quantité de vie au détriment d'une qualité de vie, avec l'espoir de l'invention du geste qui les sauvera. Si cet acharnement est source de souffrance chez les patients et leurs proches, il l'est aussi dans le monde soignant. Certains personnels médicaux et paramédicaux y répondent par l'abandon des patients - ne pas voir ce qui fait souffrir - ou encore par l'euthanasie - mettre un terme à une situation impossible créée par la médecine. Aujourd'hui, la loi s'oppose à l'obstination thérapeutique déraisonnable et aux pratiques euthanasiques, pour autant les soignants restent confrontés à des patients que la médecine ne peut sauver (Kentish-Barnes et Valy; Crétin), voire à des patients qui même s'ils se présentent comme vivants sont en fait déjà morts (Hamraoui). Ce qu'être mort veut dire est alors l'enjeu de définitions variables selon les services ou encore les cultures (Le Breton). Quel sens a la mort pour le monde médical et paramédical? Est-il le même selon les segments professionnels, selon les activités? L'incapacité à guérir est-elle source de souffrance pour les soignants? Si l'incurabilité est patente, est-il encore possible de prendre soin? La mort est-elle l'échec du soin? Voici quelques-unes des questions qui trouveront un début de réponse dans la première partie de ce livre.

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EAN
9782749236162
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