Lou Andreas von Salomé, La femme océan

Extrait

Saint-Pétersbourg

«Dans l'étroit escalier les rencontres qui durent ;
Puis cette nuit obscure, où sort la jeune fille,
Le cou, la gorge nue, et le front aux bourrasques...
Mais l'ouragan du Nord est doux aux roses russes.
Ah ! Comme il est brûlant, le baiser dans le gel !
Ah ! Que la jeune Russe est fraîche dans la neige !»
Alexandre Pouchkine

C'est le 12 février 1861, année de l'abolition du servage en Russie, que Lou naît à Saint-Pétersbourg. 1861, c'est l'année que choisira l'administration tsariste pour transférer les sept mille volumes de la bibliothèque de Voltaire, dite des «Lumières», dans l'escalier d'accès à une bibliothèque impériale publique flambant neuve. Saluée par l'élite locale, la préservation de ce trésor, acquis un siècle plus tôt par Catherine II, faisait urgence. Il était en effet grand temps que ces ouvrages, parmi lesquels les premières oeuvres de Locke et de Newton, quittent les sous-sols insalubres et mal gardés du musée de l'Ermitage.
1861, c'est encore l'année où un jeune aristocrate issu d'une famille amie des von Salomé rencontre le chef de file de la nouvelle musique russe en la personne de Mily Balakirev. Nicolaï Andreïevitch Rimski-Korsakov a enfin trouvé sa voie. Éveillé à la magie des notes par les rythmiques des danses populaires, il a appris le piano à six ans et l'art de la composition à neuf. Devenu professeur dans cette dernière discipline au conservatoire de Saint-Pétersbourg, il n'en continuera pas moins à vénérer son maître Balakirev. Dans l'intervalle, il aura été appelé à la direction de la chapelle impériale, qui n'a de cesse que de former, en rupture avec les diktats de quelques courtisans, les Glazounov, Borodine, Moussorgski et autres autodidactes qui, mathématiciens, chimistes, ou médecins, feront bientôt les beaux jours de l'opéra russe.