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Le Secret de Joe Gould

Mitchell Joseph ; Porte Sabine

AUTREMENT

Joe Gould est un joyeux lutin émacié qui hante les cafétérias, les bistrots, les bars et les gargotes de Greenwich Village depuis un quart de siècle. Il se vante parfois, non sans un sourire forcé, d'être le dernier des bohèmes. «Tous les autres sont restés en rade, dit-il. Les uns sont au cimetière, les autres chez les fous ou encore dans la publicité.»
La vie de Gould est loin d'être exempte de soucis; il est constamment aux prises avec trois fléaux: l'absence de toit, la faim et la gueule de bois. Il dort sur les bancs des stations de métro, par terre dans les ateliers de ses amis, dans les asiles de nuit à vingt-cinq cents de Bowery. De temps à autre, il se traîne jusqu'à Harlem pour se rendre dans un des établissements connus sous le nom d'«annexes du Paradis», gérés par des disciples du père Divine, l'évangéliste noir, où il se trouve un toit pour la nuit en échange de vingt-cinq cents. Il fait un mètre soixante-deux et pèse rarement plus de quarante-cinq kilos.
Récemment, il a confié à un ami que son dernier vrai repas remontait à juin 1936, où il est allé en stop à Cambridge pour assister à un banquet de Harvard donné à l'occasion d'une réunion de la promotion 1911, dont il fait partie. «Je suis, dit-il, la plus éminente autorité des États-Unis en matière de vaches maigres.» Il répète à qui veut l'entendre qu'il vit «d'air, d'amour-propre, de vieux mégots, de café de cow-boy, de sandwichs aux oeufs et de ketchup». Le café de cow-boy, explique-t-il, est un café serré bu sans sucre ni lait. «Il y a belle lurette que j'ai perdu le goût du bon café, dit-il. Je préfère de loin le genre qui, à force, finit par vous faire les mains qui tremblent et le blanc de l'oeil qui vire au jaune.» En avalant son sandwich, Gould a coutume de vider dans son assiette une ou deux bouteilles de ketchup, qu'il mange à la cuillère. Les barmen du Jefferson Biner de Village Square, un de ses repaires favoris, ramassent les bouteilles de ketchup pour les dissimuler dès qu'il passe la tête par la porte. «Je n'aime pas particulièrement cette cochonnerie, dit-il, mais je me fais un devoir de manger tout ce qu'on me donne. C'est le seul truc que je connaisse qu'on peut bouffer à l'oeil.»
Gould est un yankee. Il descend d'une branche des Gould installée en Nouvelle-Angleterre depuis 1635 et il est apparenté à bon nombre des premières familles de la région, comme les Lawrence, les Clarke ou les Storer. «Je ne dois rien au hasard, a-t-il affirmé un jour. Je vais vous dire ce qui m'a fait tel que vous me voyez aujourd'hui. Du bon vieux sang yankee, une aversion irrépressible pour toute forme de possession, quatre années à Harvard et vingt-cinq autres passées à me déglinguer les boyaux à force de picoler et de bouffer des saloperies.»


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EAN
9782746733671
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