Manifeste pour la vie d'artiste

BARTABAS

AUTREMENT

COMMENCEMENTSIl est toujours difficile, voire un peu illusoire, de prétendre déterminer comment ça a commencé, de déterminer l'événement fondateur d'une vie d'artiste, le premier choc émotionnel. Pourquoi suis-je devenu artiste, et cet artiste-là? La question ne se pose pas quand on appartient à un milieu artistique existant, à une lignée dans laquelle on s'inscrit naturellement, dont on ne doit pas briser la chaîne, où il s'agit avant tout de transformer ce qu'on a reçu, d'être digne d'un héritage. Mais, pour moi, choisir une vie d'artiste n'était-ce pas, d'abord, rompre; rompre avec ses origines familiales, son milieu, sa classe sociale? Car s'engager dans cette voie-là, c'est non seulement choisir l'activité artistique qu'on se propose de développer mais c'est choisir le mode de vie qui va avec, et si ce n'est le choisir au moins l'accepter.Inventer une forme de spectacle comme la nôtre, un théâtre équestre, suppose d'abord d'accepter la vie nomade, ses libertés et ses contraintes, la liberté qui en est l'essence mais aussi l'inconfort. Aussi, à peine a-t-on parlé de «choisir» cette vie, qu'il faut se poser la question: est-ce un choix si délibéré? Pour l'accepter, pour ne jamais la remettre en question, pour avoir la force nécessaire pour la vivre, ne faut-il pas avoir connu au départ une sorte d'émotion primale, aux origines forcément enfouies, qui inconsciemment légitime à nos propres yeux la nécessité de cette vie, et de s'y tenir coûte que coûte? Pour ma part, tout a commencé par une fascination. C'est-à-dire à la fois une admiration et une peur. De ma peur d'enfant devant ces «monstres» de 700 kilos qu'on appelle des chevaux, une peur dont, confusément, pour des raisons que j'ignorais, je me suis dit qu'il fallait la surmonter. Voilà la première leçon que j'ai reçue des chevaux - et il y en a eu par la suite bien d'autres: apprendre à vaincre ses inhibitions, à oser aller à la rencontre de l'autre, des êtres différents comme de ses semblables.Pour construire sa vie à partir d'une fascination éprouvée dans l'enfance, il faut sans doute une certaine naïveté, et même une forme d'inconscience. À sept ou huit ans, je ne rêvais pas de devenir «artiste», de porter ce nom, je ne rêvais même pas de créer une troupe, encore moins un «théâtre équestre», genre qui n'existait pas encore, je rêvais de départs, pour moi seul, d'une vie nomade, sublimée. Adolescent, de plus en plus épris de liberté, je ne savais encore que ce que je ne voulais pas: une vie enserrée entre bureau et métro. J'avais le virus de l'instinct de survie en moi, ce que la fréquentation des chevaux continuera à m'injecter toute ma vie. Je m'imaginais sur les routes au volant d'un camion. Mais pour aller où?(...)

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EAN
9782746733251
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