La nuit a dévoré le monde

Agarmen Pit

J'AI LU





Extrait



8 mars

Tout a commencé le 1er mars dernier. Je me trouvais à une soirée à Pigalle où, excepté Stella, la maîtresse des lieux, je ne connaissais personne. Je traînais entre les invités et les petites tables pleines de boissons et d'amuse-gueules. L'endroit était idéal pour une crise d'agoraphobie. L'appartement aurait pu remplir les pages d'un magazine de décoration : radiateurs en fonte, parquet en chêne, tableaux contemporains et affiches originales de groupes de rock des années soixante-dix, collection de vinyles de Bach, bibliothèques sur la plupart des murs, petites statues en verre coloré aux formes phalliques. Des stickers d'associations humanitaires et de sodas couvraient les murs des toilettes. Tout y était de bon goût et équilibré, entre classicisme et pop culture.
Stella était pianiste. Je l'avais rencontrée à l'époque où j'écrivais des scénarios pour le soap-opéra télévisuel (je publierais mon premier roman des années plus tard) qui m'avait permis de surnager un moment, L'Amour à répétition. Elle était mariée au producteur de la série. Depuis que Noémie m'avait quitté, je m'étais laissé aller à imaginer que quelque chose pourrait se passer entre nous. Nous avions sympathisé lors d'un cocktail. C'était une jeune femme typique de la bourgeoisie parisienne, fascinée par les décadents et les fascistes, mais de gauche, de toutes les manifestations, de tous les combats. Elle avait la capacité d'aller vers les autres sans trébucher, et de s'entendre avec n'importe qui. Nous allions voir des expos et de vieux films, nous furetions chez les libraires en quête de livres de poésie (que je lisais les larmes aux yeux dans mon lit en buvant du bourbon). Cela avait tout d'une relation amoureuse, sauf que nous ne couchions pas ensemble. Sa compagnie me permettait de me réhabituer à une présence féminine. Stella ne me jugeait pas parce que j'étais pauvre, simplement la question d'une relation avec moi ne lui avait jamais effleuré l'esprit. Je ne lui en voulais pas. Après tout, je n'étais pas encore guéri de ma dernière histoire d'amour avec une fille qui m'avait quitté pour un homme auprès duquel elle n'avait trouvé qu'ennui et matchs de foot télévisés.
Le nouveau disque de Stella sortait (une interprétation des Variations Goldberg en duo avec un joueur de thérémine), et elle avait voulu fêter ça avec ses soixante-douze meilleurs amis.
C'était un autre monde que le mien. Des quintaux de types et de filles élégants, capables de rire un verre de vin à la main en se faisant croire qu'ils sont du côté du peuple. Ils avaient l'air de bonne compagnie, mais je savais ce qu'il en était : c'étaient des tueurs, des arrivistes socio-démocrates, des bulldozers sentimentaux tout en haut de la chaîne alimentaire. En comparaison, j'étais un doux naïf. Mais je m'en moquais. Mon énergie passait dans l'écriture, dans ces vingt-quatre livres qui ont pris la poussière sur les rayonnages des arrière-boutiques des librairies d'occasion - mais qui sont chéris par des femmes de tous âges, inquiètes et perdues, qui croient encore que le vrai amour existe.
--Ce texte fait référence à l'édition






Broché
.






6,50 €
Disponible sur commande
EAN
9782290073193
Découvrez également sur ce thème nos catégories S.F. Jeunesse , Fantastique , Fantasy , Bit-Lit , Séries et licences , Littérature ango-saxonne , Romance - fantasy dans la section Science-fiction-fantasy