DONNEZ-LEUR, SEIGNEUR, LE REPOS ETERNEL

MIRANDA MIGUEL

DE L AUBE

Un«Confutatis maledictis», ai-je murmuré en apercevant un cadavre de femme qui flottait sur les eaux du fleuve. La mort n'est vraiment pas quelque chose de joli à voir. J'ai beau en avoir l'habitude, poser les yeux sur un corps sans vie me laisse toujours aussi perplexe et songeur. D'autant plus que la femme qui habitait ce corps il y a quelques heures encore était très belle, ce qui rendait le crime d'autant plus révoltant. Car je ne doutais pas un seul instant qu'il s'agissait d'un crime. Même si je n'en avais aucune preuve, mon instinct me le disait.J'ai posé mes puissantes jumelles Zeiss. La scène qui allait suivre ne m'intéressait pas beaucoup. La police était arrivée, commissaire de la criminelle en tête, et commençait déjà l'opération de repêchage du corps. Suivrait l'audition des membres d'équipage du yacht de luxe qui mouillait près du quai. Simple mesure de routine qui aboutirait à une impasse, j'étais prêt à le parier.Je me suis appuyé sur le dossier de mon fauteuil pour essayer de me détendre. Deux mouettes planaient au-dessus du fleuve. Un effluve musqué pénétrait à travers les jours de la fenêtre mal jointive de mon bureau, une odeur qui m'aide à réfléchir. Les bateaux, les ponts, la cascade des toits des vieilles maisons accrochées aux berges escarpées du fleuve Douro constituent une toile de fond qui m'inspire toujours, qui nourrit mon raisonnement déductif.Je n'avais plus qu'à attendre. J'étais sûr qu'on viendrait me chercher. Ce n'était qu'une question de temps, mais je n'avais aucun doute que tôt ou tard, quelqu'un ferait appel à mes services. Avant qu'il ne soit trop tard.Le lendemain, le crime ferait les gros titres des journaux: «Lady Godiva assassinée.» J'ai souri. J'étais le seul à savoir que la femme qui était morte n'était pas la célèbre chanteuse pop, mais un sosie. Ou alors, je ne m'appelle plus Mario França, un des plus grands détectives du monde.DeuxJ'aime contempler longuement le fleuve Douro quand je n'ai rien à faire. Ce qui m'est arrivé fréquemment ces derniers temps. Notre métier de détective est essentiellement composé de périodes d'attente, parfois interminables: l'attente qu'une mort apparaisse suspecte, ou qu'un crime soit commis et que leur explication exige l'intervention d'un spécialiste; la patiente attente, ensuite, qu'un suspect se manifeste et finisse par tomber dans les mailles du filet qu'on lui aura tendu. Ou alors, plus simplement, l'attente qu'on vienne frapper à notre porte pour nous demander le plus modeste des services: surveillance, filature, photos compromettantes... En période de disette, je navigue d'attente en attente, immobile comme un ascète devant le panorama de ma fenêtre, économisant au mieux mes efforts. Je bascule alors en mode veille, me déconnectant de tout ce qui m'entoure, laissant seulement mon cerveau travailler fébrilement. Je peux même presque le débrancher pour me plonger dans une sorte d'hibernation, sans penser à rien, conservant seulement mes sens en alerte. J'ai le corps et l'âme aguerris à ces longues périodes de vide quasi absolu qui composent ma vie. Je suis devenu tellement accro au silence que je suis sans cesse en attente d'une autre attente - ce qui en vient à me confondre parfois, ne sachant plus exactement ce que j'attends ni pourquoi.(...)

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EAN
9782815906142
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