Quand les vautours approchent

Miranda Miguel ; Gorse Vincent

DE L AUBE

UnLe vrombissement du moteur brise le silence des dunes. Le vieux pick-up monte péniblement les bosses de sable, s'enfonce dans les creux, faisant gémir ses suspensions. L'air est lourd, le soleil brûlant, les secousses du véhicule coupent presque parfois la respiration, obligeant à se tenir pour ne pas se cogner au bord de la cabine. Un troupeau d'ânes sauvages est effrayé par le bruit du moteur, qui devient infernal en prenant des tours quand les roues patinent, couvrant le cri des oiseaux. La camionnette bâchée glisse dans le sable, hésite sur la piste mal tracée. A perte de vue, il n'y a que des dunes parsemées de maigre végétation. Cloués dans le ciel, planent deux urubus indolents. Je ferme les yeux pour ne plus les voir, mais c'est inutile: ils sont là, rivés aussi sur la persienne de mes paupières, vêtus comme il se doit de leur parure aussi noire que la nuit. Quand les vautours approchent, il y a toujours quelqu'un de moins dans le monde des vivants.DeuxJe suis entré dans le café et me suis assis à une table dans un coin. Une femme aux cheveux attachés en chignon s'est arrêtée quelques secondes de passer son chiffon sur le comptoir, m'observant dans le reflet d'un miroir fixé au mur. Puis elle a repris son geste de la main, comme si mon visage ne lui disait rien. Passer partout inaperçu est devenu un de mes secrets. Je suis d'une irritante vulgarité de taille et d'aspect; personne ne se souvient jamais de moi, ce qui est une qualité inestimable pour ma profession. Ce jour-là, par exemple, cette grosse femme aux cheveux qui sentaient la friture était loin d'imaginer que le grand Mário França venait d'entrer dans le Café de Paris. Mes yeux se mouillent à chaque fois que j'y pense. Il n'est pas toujours facile de porter le poids de la célébrité sans qu'il se dénote dans les petits gestes, à la manière de dresser légèrement la nuque au-dessus des épaules. Cette vie en état d'alerte permanent, en constante dissimulation de mes émotions et de mes sentiments, est parfois difficile à supporter.Je mords l'ambiance à travers les fentes de mes yeux, fermant presque les paupières. Quelque part dans cette salle, à une de ces tables, s'est assise jour après jour la femme que je recherche. Je me la représente se tenant le menton dans la paume d'une main, pensive, imaginant des formes et des couleurs dans le vide, fumant de longues et fines cigarettes, sirotant des cafés l'un après l'autre. Je sens sa présence incrustée dans les murs, reflétée par les miroirs et par le revêtement de Formica brillant des tables et du comptoir. Je devine son ombre invisible pendre au lustre en plastique qui descend du plafond, vibrer dans la lumière bleue de la machine à frire les mouches.(...)

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EAN
9782815903981
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