Faire l'idiot / La politique de Deleuze

Mengue Philippe

GERMINA

Extrait de l'introduction

Ce titre pourrait apparaître comme une provocation; il n'en est rien. La politique deleuzienne a pour objectif la libération des possibilités de vie qui restent emprisonnées par une organisation sociale déterminée. Et pour échapper aux puissances de contrôle et de répression, Deleuze, selon nous, dirait qu'il conviendrait de faire l'idiot. L'idée, à première vue paraît elle-même idiote. On ne peut être que surpris, pour le moins, par cette conception que, selon nous, il propose. Certes, pour résister il faut un sujet, et comme celui-ci ne peut plus être le peuple ou le prolétariat, il faut faire appel à une nouvelle forme de subjectivité qu'on va inventer, construire. Mais pourquoi cette subjectivité aurait-elle la figure générale de l'idiot? Et en quoi serait-elle résistance aux puissances établies?
Je vais montrer que rien ne peut mieux caractériser la politique deleuzienne que d'en faire une politique de l'idiot, à condition de comprendre quel est le problème fondamental de la politique deleuzienne et ce qu'il faut entendre par «idiot».
Tout d'abord, on ne sera pas étonné de découvrir que ce thème est présent partout dans l'oeuvre de Deleuze, même si, explicitement, il n'apparaît que dans certains passages déterminés. Tout d'abord, l'idiot est un personnage littéraire. Il est en effet, comme on le verra, celui qui trace, de Chrétien de Troyes à Beckett, ce que j'appellerai la ligne romanesque. On se reportera à Mille plateaux: même s'il n'est pas dit explicitement que c'est lui qui ouvre et conduit cette ligne romanesque, il est bien certain qu'on a affaire à un personnage de ce type (MP, pp. 212-213, par exemple).
Mais l'idiot ne se contente pas d'être un personnage littéraire. Il est haussé au plan de la pensée absolue où il fait fonction de personnage conceptuel. Et, en tant que tel, il est alors chargé de donner une image de la pensée, soit de ce qu'est penser. Le chapitre 3 de Qu'est-ce que la philosophie?, concernant le personnage conceptuel, donne comme premier exemple de personnage de cette sorte, l'idiot en tant que c'est lui qui, derrière Descartes, formule le cogito. Il y a beaucoup d'autres personnages conceptuels - chargés d'inventer l'une des deux ailes de la philosophie, à savoir le plan d'immanence comme ce qui trace l'image de la pensée - et Deleuze montre qu'il y a toujours en toute philosophie un personnage déterminé, doué de traits spécifiques, souvent venu de la littérature, qui est chargé de tracer le plan d'immanence et de poser ce qu'est penser. Mais il s'avère que, concernant la philosophie propre à Deleuze, qui nous occupe présentement, le personnage par excellence qui aide à figurer l'image de la pensée est du style de l'idiot. Dans un cours à Vincennes, Deleuze ne déclare-t-il pas que «philosopher, c'est faire l'idiot»?
On mesure donc l'importance considérable que détient le personnage de l'idiot dans la philosophie de Deleuze.


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EAN
9782917285411
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