Cellule Delta. Opération Sabre d'Allah

Extrait du prologue

Il n'y avait rien pour se cacher. Pas un buisson, pas un rocher, pas un pan de mur. Le sol, jonché de fragments de pierres éclatées par le gel et le soleil, était inconfortable. Vincent, à plat ventre, sentait les aspérités de cette terre oubliée de Dieu, certes, mais pas des hommes. Il essayait de se confondre avec le paysage. Les deux combattants kurdes, avec lui, semblaient sereins. La ligne d'horizon, courbe, laissait deviner, à deux kilomètres, un sentier poussiéreux. A gauche, les montagnes de Tora Bora formaient un lacis où toutes les installations modernes n'étaient plus d'aucun secours. Les GPS ne décelaient pas les cavernes, les satellites déchiffraient mal les canyons, les gorges, les empilements de roches; les drones n'arrivaient pas à cibler les talibans; les communications audio passaient mal, les sonars étaient brouillés. Rien, ici, ne fonctionnait comme ailleurs. On était dans une guerre médiévale, où les prisonniers étaient égorgés, les femmes violées, les prisonniers torturés. Les fous de Dieu croyaient au couteau et à la kalachnikov. Les Américains croyaient à la technologie. Le résultat était simple: ils perdaient.
L'approche avait été longue, ardue. Tandis que les bureaucrates se plaignaient du manque de moyens, les hommes - et les femmes - de la cellule Delta avaient travaillé dans l'ombre. Leur groupe n'était supervisé par personne. Ils agissaient en marge. Même la DGSE ignorait ce qu'ils faisaient. Pendant deux ans, Vincent avait rassemblé, miette par miette, des renseignements minutieux. Les combattants pachtounes, les opposants claniques, les chefs de guerre, tous avaient leurs raisons de se débarrasser de Ben-Laden. Certains touchaient de l'argent, d'autres cherchaient à étendre leur pouvoir, parfois de complexes rivalités familiales intervenaient. La présence du terroriste le plus recherché du monde perturbait le fonctionnement de la région. L'équipe Delta - Aymard, Ichad, Annie - avait fait du bon boulot.
À droite, une plaine violentée par le soleil s'étendait à perte de vue. C'était de là que devait arriver le convoi. L'informateur, qui avait réussi à capter l'un des messages d'Al-Qaida - en fait, il s'agissait de pigeons voyageurs qui déjouaient la surveillance électronique - avait bien précisé: ils viendront du sud. Or, au sud, là-bas, il y avait Abbottabad, une vague ville de garnison pour l'armée pakistanaise. Qu'avait été faire Ben-Laden là-bas? Allez savoir.
Une goutte de transpiration tomba sur le fusil devant Vincent. Elle roula, et s'évapora avant même de toucher le sol. Une odeur de poussière parvint à Vincent. Il se tourna vers Rachid, à sa gauche. Sans lever la tête, il demanda:
- Alors?