La fille des camps

Extrait

Lundi 19 mars 2007 : «Mesdames et messieurs, nous venons d'atterrir à l'aéroport international David-Ben-Gourion de Tel-Aviv, Israël. Il est 5 h 17, heure locale, et la température extérieure est de 18 degrés. Nous espérons vous revoir prochainement sur notre compagnie et vous souhaitons un agréable séjour.»

Avec mes yeux à moitié clos et injectés de sang, je ressemble à une droguée. Après ce long voyage, je n'ai qu'une hâte : m'allonger dans un lit douillet. Il n'y a pas de place dans ces avions et je ne suis pas tranquille à cause du passage à la douane. J'aurais bien aimé dormir un peu, mais mon voisin de droite n'a pas cessé de me parler pendant une bonne partie du voyage.
La discussion a commencé avant l'embarquement et nous nous sommes retrouvés assis côte à côte. Quelle chance ! A peine installée, il a continué :
- Regarde ! me dit-il en me montrant une carte du monde sur un magazine. C'est vrai que les Arabes ont beaucoup de terres, alors que nous, nous n'avons qu'une toute petite part, même pas visible à l'échelle du monde.
- Euh... oui, ai-je répondu, un peu surprise.
- C'est vrai, nous sommes tout petits, nous, Israéliens, par rapport aux terres du monde arabe. Pourquoi n'aurions-nous pas le droit de vivre sur les terres que nos ancêtres habitaient il y a plusieurs milliers d'années ? Nous au moins on en fait quelque chose, eux n'en faisaient rien... Pourquoi ne nous laissent-ils pas vivre en paix ?
Faut-il vraiment que je réponde ? Au beau milieu de la nuit, en plein ciel, mon voisin se lance dans un monologue sur les terres du Proche-Orient, Israël et les Arabes. Comme s'il avait senti mon attachement à cette problématique. Au bout d'une bonne demi-heure d'offensive intellectuelle, je tente une approche diplomatique :
- Peut-être estiment-ils injuste que beaucoup d'entre eux aient été chassés de leur maison ?
- Injuste ! Et nous alors ? Nous n'avons pas vécu d'injustices pendant la guerre en Europe ? Nous avons suffisamment été les boucs émissaires ! Aujourd'hui, on a le droit d'avoir un pays à nous !
Je serre les dents. Je ne veux pas rentrer dans une guerre des victimes, ni dans une conversation qui n'aboutira à rien, comme j'en ai déjà tellement eu auparavant sur ce sujet. J'utilise donc mon arme de destruction massive favorite : mon sourire. Je souris en acquiesçant d'un air entendu, pour ne pas me faire remarquer avant même d'atterrir. On ne sait jamais ! Si c'était un type de la sécurité ? Et s'il dénonçait, en arrivant, mes penchants pour la cause palestinienne ? Je ravale mes paroles. Je dois vraiment avoir une tête sympa, parce que lui tient bon.
- En plus, on est la seule démocratie de cette région ! finit-il par lancer une heure plus tard en fermant son magazine.