Afrique et autres récits

Dieterlé Nicolas

ARFUYEN







Extrait

La demeure En Afrique, j'étais de plain-pied avec les choses et les êtres. Je connaissais intimement tel rocher, je me courbais avec la colline qui surplombait la maison, j'étais les yeux profonds du chien familier, je me dissolvais avec le nuage, à l'aube, dans la clarté montante du jour. Le soleil lui-même était issu de ma poitrine et je connaissais d'avance la splendeur de sa course qui s'achevait en moi. Quant à la terre, verte et rouge, immense et souple, elle ne faisait qu'un avec mon pied nu et chacun de mes pas renouvelait notre alliance. Ainsi, arpentant telle piste, j'en déchiffrais la large écriture faite de bosses, de trous, de cailloux épars et de branches, de mes seuls pieds amoureusement savants. Car, en Afrique, au temps de l'enfance, connaissance et amour n'étaient pas séparés. Ils se confondaient comme se confondent, dans la réalité invisible et suprême, le rayon et l'ombre, la lune et le soleil, l'eau et le feu, la folie et la sagesse. Tous mes amours s'achevaient en connaissances, toutes mes connaissances s'achevaient en amours. La fleur que je prenais dans la main revêtait un éclat double et unique qui ceignait le monde. Ainsi pour moi, l'enfant, tout était demeure, profonde maison dont les murs légers et indestructibles étaient faits d'un ciment mêlé d'amour et de sagesse. La nuit En Afrique, la nuit n'était pas le triste et froid envers du jour, comme dans les villes occidentales, mais un univers en soi, peuplé de présences infinies dont les bruissements et les appels se fondaient en une musique étrange et lancinante. Il suffisait de l'entendre pour se croire transporté sur une autre planète dont les habitants mystérieux émettaient des chuchotements magiques destinés à provoquer chez eux quelque transe divine. Sous cette influence, l'univers entier semblait perdre ses assises familières et se mettre à voguer sur une mer irréelle aux couleurs violentes et sourdes à la fois. Tout paraissait en proie à un balancement immense qui donnait à l'âme une nausée mêlée de délices. La magie nocturne délivrait le monde, le rendait à son invraisemblance native, primordiale. Comme un océan, la nuit englobait tout dans sa masse. La maison, ses murs, son toit, les chambres, les miroirs, les couloirs étaient saturés d'une nuit violette, poisseuse, odorante. Cet univers aquatique était peuplé des lumières éparses de nos lampes à pétrole, pareils à de minces poissons au doux rayonnement. Nous nous tenions contre eux, contre leur ventre, et voyagions ainsi au fil des soirs bruissants, électriques. Puis nous allions nous coucher sous la moustiquaire semblable à un cocon, le corps tendu dans l'attente de quelque événement. (...)



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EAN
9782845901896
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