Voyage avec Stevenson dans les Cévennes

Extrait

Prélude : Le Monastier-sur-Gazeille

Lorsque Robert-Louis Stevenson partit à pied du Monastier-sur-Gazeille, un beau matin de 1878, en compagnie de la seule ânesse Modestine, nous sommes bien placés pour savoir qu'il écrirait plus tard L'île au trésor, Dr. Jekyll & Mr. Hyde, Le Maître de Ballantree. Comme nous savons bien que l'élue de son coeur, Fanny Osbourne, qui venait de repartir en Amérique pour mieux soupeser la question, déciderait en fin de compte de l'épouser. Nous savons même qu'il publierait dès l'année suivante son Voyage avec un âne dans les Cévennes. Nous n'avons donc aucune raison d'être spécialement inquiets.
Mais lui n'en savait encore rien, c'est bien l'ennui de vivre dans le présent, et son voyage sans objet, sans but, ressemble fort à une méditation ambulatoire autour de deux questions : Serai-je écrivain ? Serai-je heureux ? Et pourquoi pas les deux à la fois ?

On se ferait du souci à moins. En effet, qu'avait-il fait jusque-là ? Il était né, puis avait grandi dans une famille de sévères presbytériens écossais constructeurs de phares où il avait fini par faire admettre, sinon accepter, qu'il n'était doué ni pour la religion ni pour construire des phares.
Ni même pour faire du droit, qu'on lui proposait comme un pis-aller, ainsi que de nos jours des études de communication. Heureusement, il aimait lire et comme il était tout le temps malade, il avait eu le temps de dévorer l'essentiel de la littérature anglaise et française. Les médecins prescrivirent même à plusieurs reprises des voyages à l'étranger, au bon air, pour lui permettre de respirer enfin à pleins poumons, tant physiques qu'intellectuels.
Le voilà donc, entre deux cures et même pendant, qui lit, voyage, écrit (rien d'extraordinaire, juste les premiers feux d'un jeune homme fantasque qui comme tant d'autres, promet beaucoup, et surtout de ne pas tenir). Il se frotte à la vie déréglée des étudiants et des rapins, selon le pittoresque de l'époque, façon Murger, à Paris puis à l'école de peinture de Barbizon, célèbre pour la qualité de ses ciels, où il rencontre Fanny.