LA MERIDIENNE

Dans un train, quelque part au Maroc, ma réponse au vieil homme

- Non, pour curieuses qu'elles soient, les raisons de mon voyage ne doivent rien au hasard. A Tarifa, en Espagne, pointe extrême de l'Europe, par un jour de tempête, il y a presque cinq ans, une jeune femme et un homme, sur la plage, enlacés, bouches jointes, s'écroulèrent sous mes yeux, là où rien ni personne ne pouvait se tenir tant le sable soulevé par le vent faisait mal à la peau. Ils avaient bu, fumé, et roulaient l'un sur l'autre sur le sol au milieu des papiers et des algues apportés par les flots; indécents, se touchaient, entre mer-océan, se joignaient, s'éloignaient, au partage des eaux. D'un côté, l'Atlantique, et de l'autre, l'étendue de la mer du Milieu. Au-delà de leurs corps, de la plage et des eaux du détroit, fasciné, je voyais le début de l'Afrique; sur la côte du Maroc, la ville blanche de Tanger. Méthodique, je notai: 36° latitude nord - longitude ouest 6°. Ici, passerait, de Saint-Malo, à pied venu, via Tarifa jusqu'aux rives du Niger; depuis ce fief en bord de mer, cette ville bretonne où mes parents sont enterrés, jusqu'au Point G, cet hôpital où je suis né à Bamako, ici, passerait, la Méridienne, comme un flash arrivé dans l'image de ce couple terrassé devant moi, sous mes yeux.

Le vieil homme écoutait, le visage éclairé d'un sourire très discret. Voyant que je n'ajouterais rien:

- Tarifa? me dit-il, la limite en arabe. Ambition d'aller au-delà ou de rester où vous êtes.

Puis il se tut, le vieil homme dans un train, quelque part au Maroc.