ANIMALS TRISTOS
Bungalow onzeILS AVAIENT quitté la gare depuis une demi-heure quand Mirra essaya de retrouver dans sa mémoire ce week-end qu'ils avaient passé ensemble voici tout juste dix ans. Elle aurait pu le revivre de façon abstraite autour de détails précis - cette légère fumée, montant jusqu'au plafond, de la cigarette partagée, ou le clignotement d'une télé allumée au pied du lit. Mais voilà que tout lui revenait, à sa grande surprise, avec le goût et l'odeur d'une banane trop mûre. C'était une image douce, lointaine et douce, à vrai dire d'une douceur de plus en plus offensante qui maintenant gâtait l'air qu'elle respirait et rendait ce jour insupportable. Elle redouta l'exactitude de cette mémoire du temps passé et regarda fixement son mari assis devant elle, pour effacer la cristallisation du souvenir.À ce moment-là, Eric regardait par la fenêtre du train. Au fond, avec la vitesse, les arbres et les prés devenaient une tache verte indiscernable, ponctuée de temps à autre de fermes isolées ou, plus proche, la maison délabrée du garde-barrière d'un ancien passage à niveau. Puisqu'il le savait, Éric imagina que derrière ce ruban de verdure, il y avait le cours d'un fleuve important et qu'en remontant le courant on trouverait le lac qui les attendait, avec les bungalows en bois au bord de l'eau. Il y avait exactement dix ans aujourd'hui, jour pour jour, que Mirra et Eric avaient vécu, dans un de ces bungalows, leur première nuit, la première nuit d'une longue chaîne de nuits (ils ne le savaient pas encore) qui marquait le début des nuits spéciales, des nuits qui avaient l'air d'être uniques et qui, ensuite, se ressembleraient de plus en plus, répétées même dans leur singularité, dans l'étrangeté des faits, des nuits qu'on pouvait échanger contre d'autres nuits sans qu'il n'arrive rien, comme ces pièces qui s'adaptent à n'importe quel puzzle et qui ont la perfection d'un ciel printanier très bleu ou d'un pan de montagne enneigé.Le lendemain de cette première nuit passée ensemble, ils étaient restés toute la journée au bungalow, comme désorientés, drogués. Ils jouaient un peu, regardaient la télé, mangeaient un morceau ou faisaient l'amour une nouvelle fois, et aussitôt après prenaient une douche tous les deux. Ensuite ils retournaient au lit. On avait construit ces bungalows de bois à côté du lac il n'y avait pas six mois et ils étaient très accueillants et isolés. Le couple qui s'en occupait débordait d'amabilité et ne posait pas de questions, et comme l'endroit n'était pas encore bien connu, il était facile de louer un bungalow pour un week-end. Si on regardait par la fenêtre ou si l'on sortait prendre le frais sous le porche - ce que Mirra et Eric ne firent à aucun moment, affairés comme ils l'étaient -, l'eau tranquille du lac brillait avec l'éclat du papier couché et, de temps à autre, quelque poisson remontait à la surface en sautant majestueusement, comme si on le lui avait appris et qu'il attendait une récompense pour son numéro.
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EAN
9782268060552
Caractéristiques
| EAN | 9782268060552 |
|---|---|
| Titre | ANIMALS TRISTOS |
| Auteur | PUNTI JORDI |
| Editeur | SERPENT A PLUME |
| Largeur | 130mm |
| Poids | 250gr |
| Date de parution | 11/01/2007 |
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