Douze minutes avant minuit

Serrant le lutrin au point d'en avoir les phalanges blanchies, Montgomery Flinch scruta l'assistance plongée dans l'obscurité. Sous ses sourcils hérissés, arqués, ses yeux sombres et luisants semblaient transpercer chaque spectateur. Un silence magnétique régnait sur scène; la salle entière retenait son souffle, attendant la chute de ce récit à glacer le sang. Lorsque Flinch se décida à reprendre la parole, le silence devint encore plus palpable.
«Et lorsqu'il se retourna vers le miroir, son visage tremblant dans le clair de lune tel un masque de plâtre fissuré, il dut affronter les traits redoutés du docteur Cameron, l'homme qu'il avait assassiné sept ans auparavant.»
Les appliques au gaz qui éclairaient chichement le théâtre vacillèrent tandis qu'un cri étouffé s'échappait de la poitrine des spectateurs.
Une grimace grotesque tordit les traits de Flinch, sa voix ramenée à un cri guttural résonna dans la salle.
«"Je suis revenu", ricana le visage dans le miroir. L'assassin se recroquevilla de peur lorsque les doigts noueux de Cameron jaillirent de la glace. Il recula en titubant et renversa la lampe posée sur la table; la scène se retrouva plongée dans les ténèbres et les deux hommes luttèrent avec violence jusqu'à ce qu'il n'en restât plus qu'un debout.»
Montgomery Flinch se tut et leva ses yeux sombres aux lourdes paupières de la dernière page du manuscrit posé devant lui. Les spectateurs frissonnaient dans leurs fauteuils et un grondement bas montait de la fosse de l'orchestre. Flinch reprit sa lecture d'une voix légèrement chevrotante comme s'il était terrifié par ce qu'il s'apprêtait à révéler.
«Une main ratatinée se tendit pour ramasser la lampe et, quand la lumière revint dans la pièce, on vit la silhouette voûtée du docteur Cameron s'avancer vers le miroir tarabiscoté. Emprisonné derrière la glace, le meurtrier, les mains jointes, implorait désespérément la pitié.