Le Musée d?Orsay à 360 degrés

Cogeval Guy

SKIRA PARIS

«NOUVEL ORSAY»

LES HABITS NEUFS D'UNE COLLECTION ANCIENNE

Guy Cogeval
Président des musées d'Orsay et de l'Orangerie

En octobre 2011, l'ouverture de nouveaux espaces du musée d'Orsay, que nous avons appelé «Nouvel Orsay», après deux ans de travaux, nous donne aujourd'hui l'occasion de retracer l'histoire du musée, des différents lieux parisiens où il s'installa avant la gare d'Orsay, ainsi que de l'accumulation lente, progressive et résolue de ses collections. Renommées surtout pour les chefs-d'oeuvre impressionnistes et postimpressionnistes, mais aussi réalistes, symbolistes et académiques, les collections du musée d'Orsay constituent à elles seules une vraie «aube de la modernité», une introduction à la culture des avant-gardes. Ces collections ont une double origine: d'un côté, les acquisitions officielles au salon, qui se firent surtout dans le sens d'un renforcement patrimonial de peinture d'histoire, mythologique et académique; de l'autre, l'acquisition de peintures impressionnistes, qui rejoignirent plus difficilement les collections nationales autour de 1900, essentiellement, dans un premier temps, grâce à des dons. Le musée d'Orsay est en effet d'abord et avant tout l'héritier du musée du Luxembourg (ill. 01). Institué en 1818 par louis xviii, celui-ci était destiné à accueillir les oeuvres, essentiellement peintures et sculptures, des artistes vivants qui exposaient chaque année au salon (ill. 02), la grande manifestation annuelle officielle. Cette institution, fondamentale pour comprendre l'évolution de l'art français au milieu du XIXe siècle, atteignit l'apogée de sa «splendeur» sous le règne de Louis-Philippe (1830-1848), puis de l'empereur Napoléon III (1851-1870). Selon les règles imposées par ce système, dix ans après la mort des artistes, et une fois leur renommée consolidée, leurs tableaux étaient transférés au Louvre, le musée «central», tandis que les autres, les «refusés», étaient redirigés vers d'autres institutions, généralement en province. À la mort d'artistes jugés en leur temps «scandaleux», comme Corot, Courbet ou Millet, qui, dans les années 1850 et 1860, avaient été les principaux représentants du courant réaliste, il y eut des débats acharnés pour savoir si leurs oeuvres pouvaient ou non rejoindre les collections d'État. Par la suite, tous ces artistes furent «intégrés». Ils devinrent le creuset d'un véritable et premier «art moderne». Il y eut donc pendant longtemps, au musée du Luxembourg, des oeuvres d'une grande audace, et pourtant étrangères au courant impressionniste. Outre le système des acquisitions au Salon, certaines oeuvres étaient achetées directement auprès des artistes. Après L'Âge d'airain de Rodin (p. 157), acquis en 1880 malgré le scandale - on soupçonnait l'artiste d'avoir moulé directement un modèle -, l'exemple prestigieux d'une peinture acquise par l'État directement auprès de son créateur est le chef-d'oeuvre absolu de Puvis de Chavannes, Le Pauvre Pêcheur (p. 164), acquis par le musée du Luxembourg en 1887 à la suite de l'exposition «Puvis» chez Durand-Ruel. On peut considérer ce tableau comme l'un des plus importants de tout le XIXe siècle, en ce qu'il mène tout droit, par son abstraction concise et sa désolation méditée, à Picasso et à Matisse, c'est-à-dire aux prémisses du XXe siècle. De même, les conservateurs du musée du Luxembourg avaient convaincu Gustave Moreau de vendre à l'État son Orphée (p. 098), en 1866. Il demeure aujourd'hui encore un des plus beaux tableaux symbolistes du musée. Et le premier paysage de Monet acquis par l'État, en 1907, cette fois encore directement auprès de l'artiste, et grâce à l'insistance de Clemenceau, fut La Cathédrale de Rouen. Le Portail vu de face (Harmonie brune), peu de temps avant qu'Isaac de Camondo (ill. 04) ne donnât ses quatre Cathédrales au musée du Luxembourg (1911). La formation même des collections du musée d'Orsay témoigne donc des difficultés d'accueil que l'impressionnisme connut à ses débuts, ce qui permit aux grands collectionneurs américains et russes (avant 1914) d'acquérir librement des oeuvres impressionnistes sublimes. Dans un système dominé par les acquisitions «officielles» au Salon, il fallut attendre le legs de Gustave Caillebotte (ill. 03), en 1894, pour qu'un ensemble de tableaux impressionnistes rejoigne les collections publiques françaises. Et malgré de nombreuses résistances et protestations, dont les vociférations du peintre Jean-Léon Gérôme sont restées les plus fâcheusement célèbres - «pour que l'État ait accepté de pareilles ordures, il faut une bien grande flétrissure morale...» -, une grande partie du legs finit par être acceptée.


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EAN
9782081279957
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