EGARE (L')

Extrait

S'il s'inspire librement du meurtre d'un enfant qui a ému la France entière, ce thriller reste cependant une fiction et ne prétend en aucun cas élucider cette dramatique affaire.
Je les sens se rapprocher à nouveau. Maintenant j'en suis sûr. Ils tentent une dernière fois de prouver que c'est moi qui ai tué l'enfant. J'aurais dû m'en douter. Dans un peu plus de sept mois, le 31 décembre prochain, le crime sera prescrit. Après, ils ne pourront plus rien. Je serai intouchable.
La digue du temps va-t-elle se rompre d'un coup ? Il y a dix ans, elle s'était déjà dangereusement fissurée, puis miraculeusement elle s'était colmatée.
Le raz-de-marée que je pressens va-t-il emporter tout ce qui a résisté depuis ces deux décennies ? En se consolidant depuis le non-lieu, le môle qui protège l'entrée de mon port intérieur m'a fait ranger ce qui s'est passé dans un autre monde. Je ne l'ai pas oublié, mais c'était dans une autre existence. Avec le temps, je me suis presque convaincu que ce n'est pas moi qui ai tué la petite.
Elle aurait eu 29 ans le mois dernier. Mon Dieu, presque 30 ans déjà... Elle pourrait avoir une fille de l'âge qu'elle avait quand elle est morte. Comment serait Camille maintenant ? Aurait-elle toujours les mêmes cheveux blonds frisés qui rappelaient ceux d'un ange 7. Que ferait-elle ? Elle serait certainement artiste; elle possédait une sensibilité pour cela. J'avais décelé un talent très prometteur dans ses dessins. Ses deux derniers étaient très beaux. L'un représentait un homme et une femme en compagnie d'une petite fille. Elle avait dit qu'elle était l'enfant et que ma femme et moi étions les adultes. Dans le second, elle avait dessiné un ange blanc et une colombe de la paix. Peut-être ne serait-elle pas forcément peintre, mais aussi actrice ou musicienne. Elle m'émouvait quand elle minaudait en chantonnant des comptines. Viendrait-elle toujours me voir en premier et me sauter au cou comme elle le faisait le soir en rentrant de l'école, me susurrant à l'oreille que j'étais son tonton adoré ?
J'ignore encore qui a repris l'enquête. Mais ces flics-là sont comme une ombre menaçante qui grandit et s'étend toujours plus pesante autour de moi. Elle m'enveloppe et me suit partout où je vais. Elle ravive les angoisses et les épouvantes que j'ai supportées durant dix ans. Comme elles m'emportaient sur les chemins de la folie ! Je le sais déjà : je divaguerai à nouveau dans ces confins de la démence où on ne sait plus si on est ou pas l'abject démon pour qui presque tous voudraient rétablir la peine de mort. Je réentends déjà leurs cris vengeurs : «Qu'on lui coupe la tête ! Qu'on le châtre avant ! Qu'il crève à petit feu ! Très lentement pour qu'il souffre longtemps son supplice en mesurant la monstruosité de son crime ! Qu'y a-t-il de pire dans l'inhumanité que de tuer une enfant ?»