ANNEES 1950 - GRANDIR EN ALSACE

Pour commencer

«Papi, tu m'emmènes voir les vasses? Papi, tu m'emmènes voir les cossons?»
C'est le quatrième des petits-enfants, un enfant de la ville.
La main calleuse et ferme, un résumé de sa rude vie aux champs, saisit la douce et pâle menotte.
Droit et gaillard dans ses bottes, il donne l'impression de la vigueur cependant qu'un regard plus attentif y décèlerait une silhouette boitillante. Il mène le petit bout aux stabulations, le vaste hangar ouvert à l'air libre où piétine la centaine de vaches laitières. Des bruits confus de la cour de ferme émergent les grognements des trois cochons, les meuglements de la douzaine de veaux.
A franchir les quelques mètres qui séparent grand et petit de la maison d'habitation, Christian, un court instant, se souvient du temps, il y a cinquante ans, où il prit la suite du père qui venait de perdre l'usage de sa main droite, happée entre les dents d'une broyeuse à betteraves.
Il avait 14 ans révolus. Il avait alors soigné quatre vaches, deux boeufs, deux cochons et un cheval que l'on menait encore chez l'unique maréchal-ferrant du village et exploité, éparpillés autour du patelin, 5 hectares de terres et de prairies.
Les quelques soirées passées à relater pour son interviewer histoires et anecdotes de sa prime jeunesse ont suscité cet éphémère retour dans le passé.
Ses narines avaient frémi à évoquer les délicieux arômes du pain ou de la tarte sortis du four, tous deux confectionnés par la maman, le sentiment de crainte avait resurgi à l'évocation du garde champêtre, ce messager d'antan dont la fonction n'a plus de raison d'être aujourd'hui, le souvenir des journées trop longues pour un enfant lors des récoltes de tabac avant que le Marché commun ne vienne mettre fin au monopole d'État...
Les paroles vagabondes canalisées puis couchées sur papier ont fait du conteur Christian le personnage de ce récit.