Trois Guinées. Précédé de L'autre corps

Woolf Virginia - Forrester Viviane

DES FEMMES







Extrait

TROIS GUINÉES / UNE Trois années, c'est une bien longue période pour ne pas répondre a une lettre, et votre lettre est restée sans réponse plus longtemps encore. J'avais espéré que la réponse viendrait d'elle-même, ou que d'autres se chargeraient de la donner pour moi. Mais votre lettre est là avec sa question, toujours sans réponse : «Comment, selon vous, pouvons-nous empêcher la guerre ?» Il est vrai que de nombreuses idées me sont venues à l'esprit, mais aucune qui ne nécessiterait pas d'explications, et les explications prennent du temps. Dans ce cas, il y a des raisons pour lesquelles il est particulièrement difficile d'éviter un malentendu.)e pourrais couvrir une page entière d'excuses et de regrets; de déclarations d'incompétence et d'inaptitude, de manque d'information ou d'expérience : et ce serait vrai. Mais alors même que ces mots eussent été écrits, il subsisterait des difficultés si fondamentales qu'il vous serait impossible de les comprendre et qu'il nous serait impossible de les expliquer. Cependant, comment peut-on laisser sans réponse une lettre aussi remarquable que la vôtre - une lettre peut-être unique dans les annales de la correspondance -, en effet, un homme éduqué a-t-il jamais demandé à une femme comment empêcher la guerre ? Je vais donc tenter l'exercice, même si je le sais voué à l'échec. Traçons pour commencer ce que tout auteur d'une correspondance fait par instinct : une esquisse de la personne à laquelle la lettre est adressée. Les lettres ne valent rien sans quelqu'un de chaud, de vivant, de l'autre côté de la page. Vous, donc, qui me posez cette question, vous avez les tempes grisonnantes, votre chevelure n'est plus très dense sur le sommet du crâne. Vous avez passé la moitié de votre vie au barreau, non sans efforts, mais votre parcours fut plutôt prospère. Il n'y a rien de mesquin, de desséché, ni d'insatisfait dans votre expression. Et, sans vouloir vous flatter, cette prospérité - une femme, des enfants, une maison -, vous l'avez méritée. Vous n'avez jamais sombré dans l'apathie suffisante des hommes mûrs, car, comme votre lettre postée d'un bureau du centre de Londres en témoigne, au lieu de dormir sur vos deux oreilles, de garder vos moutons et de tailler vos poiriers - vous possédez quelques prés dans le Norfolk -, vous écrivez des lettres, participez à des meetings, présidez des comités ici ou là, et vous vous posez des questions alors que résonne le son des canons. Pour le reste, vous avez commencé votre éducation dans une grande école et vous l'avez achevée à l'université. (...)
--Ce texte fait référence à une édition épuisée ou non disponible de ce titre.


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EAN
9782721006240
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