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Françaises & Français 1944-1968. Le goût de vivre

Niepce Janine ; Marseille Jacques

ACTES SUD

Janine Niépce « sait l'art d'évoquer les minutes heureuses ». Le tableau qu'elle compose des Français de la génération des Trente Glorieuses (J. Fourastié), rassemblant, autour d' icônes célèbres, maintes photos inédites en livre, illustre le goût de vivre, le regain  de sève vitale, la gaîté caractéristique du génie français, jusqu'aux heures les plus sombres de son histoire : cette gaîté, Rabelais en faisait l'essence du pantagruélisme, La Fontaine l'appliquait « aux sujets les plus sérieux », Musset à Molière, Stendhal aux soldats de Bonaparte dont la descente en Italie illumine la Chartreuse.

Nul angélisme pourtant ni sentimentalisme mièvre. Hivers rudes, logements rares, estomacs creux (jusqu'en 1947), grèves dures et longues, travail à la mine dangereux, contexte politique instable et incertain (J.Niépce ne l'évoque pas mais on le ressent) : le risque inverse résidait dans le mélodrame ou le misérabilisme. La photographe évite ces deux écueils extrêmes grâce à sa finesse de ton et à son goût de la pure beauté, plastique et sensuelle. Tendresse et sens comique se nuancent l'un l'autre en des eaux-fortes où l'acide dessine sans détruire. Ainsi défilent sous nos yeux les types d'une moderne Comédie Humaine où, comme le disait Baudelaire de Balzac, « même la concierge a du génie » : premier communiant (avec mère), derniers communistes (avec père spirituel), instituteur fils de hussard, ouvrier de Ménilmontant et sa boîte à outils, égoutier droit dans ses bottes, cheminots épiques, garçon de café sorti de l'Etre et le Néant, geste auguste du vendangeur, du vanneur, du faucheur ; paysages éternels de la France des villages, autour de l'église et du château ; et de Paris, de ses quais, de ses pavés, de ses autobus, de ses terrasses et de son luxe. Familles en cercle devant la télévision, 4 CV des vacances, 203 de la croissance, DS 19 du Salon et du rêve... en même temps, tout bascule : en 1967, l'agricultrice sur son tracteur a chapeau de ranger, débardeur moulant et lunettes de soleil ; la petite fille avec duègne et cerceau (1959) devient, sept ans plus tard, promeneuse minijupée sur les Champs (sa soeur, si ce n'est elle) ; le pavé posé en 1962 attend son heure.
Ces portraits dépassent l'anecdote, accèdent au type d'une France qui se métamorphose sans se renier. Au point qu'on reconnaît souvent des sosies : d'Yves Montant, de Jean Cau, de Jean Marais, de Claude Jade et Claude Rich, de Jacques Chaban-Delmas ! Les canons physiques eux-mêmes sont caractéristiques de cette rapide mutation : danseuses du Lido ou athlètes des années cinquante rappellent plutôt Rigoulot et Suzy Delair que Noah ou Manaudou.

La beauté du regard délivre le réel de l'anecdote. Les prises de vue industrielles, par lesquelles J. Niépce débuta, en sont l'illustration remarquable. L'usine textile de Troyes, telle une sculpture de Naum Gabo, les hauts fourneaux de Schneider au Creusot, les carrières de pierre de Saint-Même et jusqu'au dépôt de locomotives de la porte de la Chapelle, loin de céder au réalisme de la « chose vue », symbolisent par leur majesté l'épopée de la Reconstruction qui se jouait alors.

Lumineux sont les visages de femmes, la transparence et la profondeur de leur regard : petites filles devant l'arbre de Noël, grands-mères archétypiques d'Alsace ou de Bourgogne, passagère rêveuse du métro, fermière juvénile égrenant la récolte, cliente circonspecte des Arts ménagers, douceur et mystère de Rose Valois et de la Femme au collier de gouttes d'eau.

Jacques Marseille donne vie à ce tableau d'une génération, l'éclairant de statistiques parlantes, de témoignages, de citations, de chansons qui en restituent l'esprit, lui confèrent sa pleine mesure et sa perspective historique. Natalité, mortalité infantile, taille et poids des adolescents, droit de vote des femmes, partition de la société en classes étanches ; modernisation de l'agriculture, ardeur à produire, fureur de consommer, avènement de l'Etat-Providence, flambée des patrimoines et du pouvoir d'achat, explosion des loisirs : tout laisse mesurer le formidable bond d'un pays qui reste pourtant paradoxal, qui opère sa révolution en demeurant traditionaliste, « curieux peuple -écrit l'auteur- qui change sans le vouloir, qui avance sans le savoir. ».

Janine Niépce, l'une des premières Françaises à exercer le métier de journaliste-photographe, s'est distinguée par ses travaux sur l'Inde, le Brésil, New York, l'exposition d'Osaka, et par sa prédilection pour les questions de société, l'évolution des modes de vie, le monde rural et industriel, le sort des femmes et leur luttes pour l'émancipation et l'égalité de traitement. Elle participe à de nombreuses expositions et a publié, entre autres : Bourgogne, les chemins du coeur (1990), France (Actes Sud, 1992), Les Années-femme (1993), Images d'une vie (1995), Les Vendanges ( 2000).

Jacques Marseille, professeur d'histoire économique à la Sorbonne ( Paris I), dirige l'Institut d'histoire économique et sociale. Organisateur de nombreux colloques, collaborateur régulier d'Enjeux-les Echos, du Point, du Figaro, il a publié, depuis sa thèse qui fit date sur Empire colonial et capitalisme français, maints ouvrages d'un grand retentissement : parmi les plus récents, Le Grand gaspillage (2002), La Guerre des deux France (2004), prix Jean Fourastié, et Les Wendel, 1704-2004 ( 2004).


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EAN
9782743305383
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