Les Souliers de Satan

Monfils Nadine

TABOU







Extrait

ATHANATOS Doucement, je pousse les grilles de mon jardin rouillé de soleil. Ils dorment encore. L'un d'eux, couché en chien de fusil, semble m'adresser un sourire. Vais-je me laisser tenter et glisser ma main le long de sa croupe déjà dorée ? Y mordre à pleines dents, voilà qui me plairait ! Mais je ne peux abîmer cette peau tendre d'adolescent. Je veux garder «ces petits» intacts pour Gabriel. Cette fois, j'ai réussi à en capturer une dizaine, tous blonds, bouclés et très minces. Leur fine ossature, la douceur de leur peau et la lenteur de leurs gestes accentuent ce côté féminin, cette ambiguïté qui fait que, n'étant ni hommes ni femmes, ils apparaissent comme des dieux. Indéfinissables, ils me caressent les yeux par la mouvance de leurs corps endormis et l'apparente innocence de leurs soubresauts guidés par la main du rêve. J'aime les voir ainsi, entièrement nus et dispersés entre les millepertuis, les mauves et les angéliques dont les tiges confites leur sont parfois servies au dessert. Certains en raffolent, d'autres préfèrent le gingembre ou la mandragore. Je les nourris très peu car il ne faut en aucun cas qu'ils grossissent ; Gabriel ne supporterait pas la vue d'un adolescent grassouillet dans son jardin. Je me souviens d'un gosse un peu plus gourmand que les autres ; il s'arrangeait toujours pour brouter l'herbe en cachette, si bien que je fus obligée de lui mettre une muselière et de lui lier les mains derrière le dos. Il continuait cependant à grossir et ce n'est qu'un mois plus tard que j'en découvris la raison : une nuit, je surpris l'un de ses camarades lui détachant sa muselière pour lui permettre de continuer à brouter. Je fus contrainte d'enfermer le gourmand dans une cage, tandis que j'expédiai l'autre à la cave. Oh ! En écrivant ceci, je me rends compte avoir complètement oublié ce dernier ! Sans doute est-il mort de faim à l'heure qu'il est... Peu importe ! Pourvu que la chair soit encore assez fraîche pour être con -sommée. Je vais charger le cuisinier d'aller le dépecer et de laisser mijoter les peaux dans une sauce aurore. Les ogresses adoreront cela ! Pardonnez-moi je ne vous ai pas encore parlé d'elles. Elles logent dans les murs creux qui entourent le jardin et seul leur visage est visible au travers des meurtrières spécialement conçues à cet effet. Je les choisis vieilles, édentées et baveuses de préférence. Il n'est point difficile d'en trouver de pareilles au sortir des églises ou les jours de marché. Quelques années de «femmes au foyer» en font d'insatiables dévoreuses d'hommes.



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EAN
9782915635928
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