Délit de fiction. La littérature, pourquoi ?

Lang Luc

FOLIO

L'inflation du mot "fiction" dans son acception la plus contemporaine et la plus pauvre, c'est-à-dire comme une ligne de partage entre le vrai et le faux, permet d'exclure et de parquer la littérature en une réserve, non plus des Indiens, mais de l'imaginaire et de ses manifestations narratives. Il lui dénie toute validité à penser, puisqu'elle ne possède aucune légitimité à instruire l'espace de la réalité. Cependant jamais notre quotidien n'a été à ce point saturé d'histoires: qui raconte sa vie sur un trottoir, qui, sur un plateau de télévision, qui, dans le journal, qui, dans un livre, qui, sur un blog, qui, sur un site internet, le boulanger, le kiosquier, le chef d'entreprise, l'artiste, le ministre, parcourant tout le spectre social et symbolique de notre société. Jamais notre monde ne s'est rendu autant disponible à l'écoute des histoires de chacun, et jamais non plus notre univers technique n'a su diversifier et multiplier à ce point les supports d'inscription des histoires dont la diffusion peut être immédiatement planétaire. Or ces histoires-là, courtes, longues, fragmentaires, sont "vraies", puisqu'elles sont immédiatement identifiées à la réalité d'un locuteur, d'un "sujet". La fantasmatique adéquation du vécu au narré constitue l'identité de l'auteur en même temps qu'elle le constitue et l'identifie comme sujet. Pourquoi faut-il, dès lors, dans un tel contexte, marginaliser et faire taire la littérature en la parquant dans l'espace exclu et réservé de la "fiction", alors qu'elle est précisément l'invention la plus haute et la plus exigeante d'une forme écrite de l'action et du temps humain? Probablement parce que la littérature s'attache, au travers des histoires imaginées, inventées, extraites ou non de la réalité, peu importe!, à penser les questions fondamentales dont les "histoires vraies" font l'économie. Le sujet de la littérature, c'est un sujet problématique dans un être en libre devenir. La littérature est une énergie dangereuse, de désordre, de chaos, une force imprévisible d'inattendues propositions quant à la question du sujet, et il est toujours plus urgent de la cerner dans cet espace livresque de la "fiction", que l'on parcourt en ses heures perdues de loisir et de distraction, où l'on s'accorde précisément à perdre son temps avec ce qui n'est que... littérature.

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EAN
9782070444717
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