Cahiers Jacques Lacarrière N° 2 : Méditerranées

La mer du Milieu

C'est certes à très exactement mille kilomètres du rivage de la Méditerranée orientale qu'est, de l'avis de tous les historiens contemporains, né ce que l'on est convenu d'appeler la civilisation, phénomène social impliquant la mise en oeuvre et la théorisation d'un ensemble de données de nature culturelle, économique, juridique, artistique, intellectuelle et architecturalo-urbanistique.
Mais ce très étrange et quasiment subit avènement, survenu au coeur d'un espace exigu et uniformément cerné par le désert, ne trouva ses moyens d'expansion et de diversification qu'une fois franchie la distance qui sépare aujourd'hui Bagdad, hier Babylone, de Beyrouth (ou, autrefois, de Biblos et de Tur) et installé sur les bords de cet appel d'eau suffoquant, probablement énigmatique et sans doute peu rassurant, qu'était alors la mer dont nul ne se fût avisé de supposer qu'elle soit médiane, puisqu'elle devait passer plutôt pour le bout du monde.
Les choses ne tardèrent pas à évoluer de façon considérable et surtout durable, et cette mer, devenue centrale, médiatrice, se transforma presque aussitôt en médiatrice, en intercesseur, en lieu géométrique symbolique et réel. La civilisation se mit à tourner autour de ce faux abîme, et à le prendre paradoxalement pour appui afin de stimuler les initiatives périphériques, surgies tout d'abord à l'est de son domaine, puis au sud, puis au nord et enfin à l'ouest.