La maison des mathématiques
Extrait
C'était il y a exactement vingt ans. Le 25 octobre 1994, la fine fleur de la mathématique française était rassemblée en plein Paris, sur des bancs en bois quelque peu inconfortables, dans un bel amphithéâtre au charme désuet, équipé d'un gigantesque tableau noir à trois étages. Au milieu de la foule, un mathématicien amateur aurait aisément reconnu le médiatique Alain Connes, barbe noire et yeux pétillants, ainsi que Pierre-Louis Lions et Jean-Christophe Yoccoz, auréolés de leur toute récente médaille Fields. L'analyste belge Jean Bourgain et l'aIgébriste russe Efim Zelmanov, mathématiciens d'une puissance déconcertante, également primés de la médaille Fields au tout récent Congrès de Zurich, les accompagnaient. Et pour compléter l'affiche, on pouvait voir le physicien Édouard Brézin, fier président du CNRS (Centre national de la recherche scientifique), la plus grande agence scientifique européenne. Les uns et les autres prirent la parole dans une ambiance solennelle; puis ce fut le tour de François FiIIon, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Il amorça son discours en citant Henri Poincaré : «On fait la science avec des faits, comme une maison avec des pierres; mais une accumulation de faits n'est pas plus une science qu'un tas de pierres n'est une maison.» Puis il retraça l'histoire de l'Institut Henri-Poincaré, depuis son inauguration en 1928 en présence d'un certain Raymond Poincaré. Il évoqua la mémoire de Pierre Grisvard, qui avait mené la rénovation de cet institut, décédant juste au moment où il avait accompli sa mission ; et il salua son successeur, Joseph Oesterlé. Il félicita Lions et Yoccoz, ainsi que Bourgain et Zelmanov ; il parla avec fierté de la renommée de l'école française de mathématique. Il cita des chiffres, distribua des remerciements, et conclut avec une citation de Bourbaki, avant de s'éclipser vers quelque autre cérémonie. Après plus de vingt-cinq ans de sommeil, l'Institut Henri-Poincaré venait d'être inauguré, pour la seconde fois !
On fait de la science avec des faits, comme on fait une maison avec des pierres ; mais une accumulation de faits n'est pas plus une science qu'un tas de pierres n'est une maison.
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Quel meilleur patronage pour cette nouvelle maison que celui d'Henri Poincaré ?
Le scientifique était un héros pour toute la société française, qui voyait en lui son plus grand savant.
Dans la salle, le patriarche Henri Cartan, avec ses 90 ans, avait revu défiler presque toute sa vie... Il n'avait que 8 ans quand son père lui avait annoncé, la gorge nouée, la mort d'un grand homme : Henri Poincaré. Il avait assisté, avec les yeux d'un enfant ébahi, à l'effondrement de la société française dans le grand massacre de la Première Guerre mondiale. Il était jeune professeur d'université quand Émile Borel, son grand-père en mathématique, avait mis en service l'Institut Henri-Poincaré, dans le but de participer à la reconstruction de la science française. Quelques années plus tard, avec des copains de promotion, Cartan fondait le groupe Bourbaki, ce collectif de mathématiciens français qui allait révolutionner leur discipline. Et puis il avait assisté à la Seconde Guerre mondiale et au nouvel ordre scientifique international, à la contestation de Mai 68, à l'éclatement de l'université de Paris... Artisan du renouveau de l'école mathématique française, il avait bouleversé l'analyse complexe à plusieurs variables, la topologie, l'algèbre homologique; il était devenu une légende pour les jeunes générations de normaliens qui étudiaient désormais dans la salle Henri-Cartan. Il avait aussi présidé l'Union mathématique internationale, il s'était engagé avec force dans le fédéralisme européen. Avec sa vie bien remplie, tout entière dévouée au service de la mathématique et de l'humanité, Cartan incarnait toute une école française qui, en ce jour d'octobre 1994, jubilait d'avoir retrouvé sa maison.
Nous sommes en 2014. Henri Cartan est décédé il y a six ans, mais il demeure une présence familière pour les étudiants qui travaillent sur ses théorèmes et lisent ses ouvrages. Quant à l'Institut Poincaré, avec ses deux dates de fondation, c'est à la fois un respectable senior de 86 ans (le deuxième plus ancien institut international de mathématique !) et un jeune vigoureux de 20 ans. Comment va-t-il et que fait-il, comment change-t-il et de quoi vit-il ?... Quelle peut être la somme d'émotions et de passions qu'abrite une institution tout entière dédiée à l'accueil de mathématiciens et chercheurs théoriciens du monde entier ? C'est ce que nous allons découvrir, en texte et en images.
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EAN
9782749133539
Caractéristiques
| EAN | 9782749133539 |
|---|---|
| Auteur | Villani Cédric ; Uzan Jean-Philippe ; Moncorgé Vin |
| Editeur | CHERCHE MIDI |
| Largeur | 241mm |
| Date de parution | 30/10/2014 |
| Nombre de pages | 144 |
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