White Trash

King John - Sebag Clémence

DIABLE VAUVERT







Extrait

Le monsieur à la blouse blanche passe quand les petites filles sages sont dans leur lit et rêvent de poupées parlantes, dring, un coup de sonnette si bref que le son glisse et s'éloigne et on dirait que les fées qui vivent du côté des garages gloussent, crash, dans le noir le bruit d'une bouteille qui se brise devant un pub, loin, très loin, on risque rien au fond du lit, c'est chaud et douillet, clic, le monsieur à la blouse blanche referme doucement la porte derrière lui, il entre dans le salon sur la pointe des pieds, Ben est étendu sur le canapé, sa bonne grosse tête posée sur les genoux de maman, il s'est assoupi, il rêve qu'il chasse des lapins dans des prairies vertes et ensoleillées, des lapins tout doux qu'il n'a jamais vus et qu'il ne pourrait pas attraper même s'il le voulait parce que, voilà, Ben c'est plus un chiot, c'est un grand, c'est la vie qui l'a usé, sa dernière promenade l'a fatigué, les articulations de ses genoux enflent, son ventre se fait bouffer par un cancer, il a comme des boulettes sous sa fourrure tachetée de gris qui brillait, avant, tellement elle était noire, ça a toujours été un beau chien, et très affectueux avec ça, même là, sa queue frétille presque pour l'inconnu, Ben qui ne ferait pas de mal à une mouche, qui aime ses promenades, qui aime l'air frais, qui aime renifler, faire son pipi et faire sa crotte, qui aime l'été, qui aime s'allonger au soleil, aujourd'hui il s'est traîné dehors, son corps chaloupait, il pleurait doucement, comme pour lui-même, il boitait, il voulait sa promenade comme quand c'était un petit chiot, c'est son corps le problème, son âge, là il est tout cassé et il reste sur le canapé, il sourit, il fait que ça. Ben ne voit au fond que des formes, ses yeux qui pleurent et sa cataracte ça le ramène à quand il venait de naître et qu'il essayait de comprendre ce que pouvaient bien renfermer les contours, en tout cas c'est ce que dit maman, la gueule de Ben tout chiot encadrée aux quatre coins de la pièce, sa truffe on dirait du caoutchouc, elle s'agite quand il renifle le monsieur, ça sent l'après-rasage et l'antiseptique, Ruby parie que c'est goût fraise, elle est assise tout en haut de l'escalier, personne ne peut la voir, maman a lu l'histoire, elle a dit : «le marchand de sable va passer», elle lui a fait la caresse sur les yeux et les cheveux, et d'habitude Ruby est une petite fille sage mais ce soir elle n'arrive pas à dormir, les yeux de maman sont rouges comme si elle avait pleuré, et c'est pour ça que Ruby épie à travers la rampe de l'escalier, les longs doigts de maman caressent la tête de Ben, survolent ses paupières, tout doucement, le son de sa voix qui murmure, c'est un bon chienchien ça, un beau chienchien, les yeux de Ben se referment, il soupire du fond de sa poitrine, dans son coeur, il est content, si content de ne pas être obligé de bouger, il a pas mal quand il se tient tranquille, la chaleur du feu électrique et la main de maman, il a besoin de rien d'autre, et Ruby regarde le monsieur dans sa drôle de blouse blanche qui parle tout bas, elle n'entend pas ce qu'il dit, il a la raie sur le côté, il porte une cravate, il se penche en avant et touche Ben, Ruby ne voit aucun des jouets de Ben qui traînent, pas de baballe, pas d'os en plastique, en fait elle comprend pas ce qu'elle voit, c'est qu'une môme.



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EAN
9782846268028
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