Le bruit des silences
Extrait
À quarante ans, Lorraine se retrouvait sur le marché.
«Sur le marché», c'était en tout cas la manière dont elle voyait les choses à l'époque, tant elle avait été marquée par la dictature du binôme selon laquelle une femme ne peut pas exister sans un homme à ses côtés. «Sur le marché», c'était ainsi qu'elles se considéraient, elle et ses amies, éternelles célibataires ou fraîchement divorcées, ce qui revenait au même : qu'elles appellent cela solitude ou liberté, ces filles-là dormaient seules, choisissaient seules la couleur de leur canapé et des capsules de café, quand ce n'était pas le nom de leur chat pour les cas les plus durables ou les plus désespérés. «Sur le marché», ces femmes, pour trouver un homme, «le bon», comme elles disaient, s'offraient inconsciemment à la concupiscence de tous les autres. Comme si c'étaient eux qui avaient l'apanage du choix. Pourtant, il faut être deux pour danser.
Son divorce à peine prononcé avec Arnaud, le père de ses enfants, celui-ci avait disparu à l'étranger avec une nouvelle conquête, avec qui il s'était empressé de «refaire sa vie» comme on dit. Si vite que Lorraine ne pouvait s'empêcher de se demander si ce n'était pas précisément à cause de cette conquête - pas si nouvelle, du coup -que son mari l'avait quittée.
Lorraine était désormais «sur le marché», mais aussi seule ou presque pour élever Louise et Bastien, âgés respectivement de quatorze et quinze ans, et pourvus qui d'une mèche carrément rebelle cachant ses yeux et la plupart de ses pensées, qui d'une capillarité galopante à tendance verticale dont l'implantation basse cachait, par un effet de visière, également ses yeux. Et la plupart de ses pensées.
- Mais à quoi tu penses ! s'exclama Lorraine en ouvrant la porte, et en tombant nez à nez avec sa fille qui venait de faire brûler dans le grille-pain de minuscules rondelles de baguettes qu'à l'aide d'un couteau en inox elle tentait maintenant de récupérer. Combien de fois je t'ai dit qu'on ne mettait pas de métal dans le grille-pain ! Surtout quand il est branché !
Laissant tomber les plants de roses anciennes - des Constance Printy qu'elle avait dénichées non sans mal en Belgique, et qu'elle comptait faire grandir dans la courette qui jouxtait l'appartement avant de les ramener à la boutique pour en faire les petits bouquets ronds et parfumés qu'affectionnaient ses clients -, Lorraine tira sur le fil pour arracher la prise, et posa un baiser sur la joue de Louise. Elle s'en voulait déjà de son bref accès d'énervement. Mais elle redoutait plus que tous les accidents ménagers. Elle culpabilisait de devoir laisser aussi souvent ses enfants se débrouiller seuls à la maison. Ses journées étaient longues et elle n'avait pas les moyens de faire appel à une baby-sitter, et puis ils étaient presque grands, et elle avait l'impression qu'elle avait beau les mettre en garde, rien n'y faisait. La preuve : combien de fois avait-elle expliqué à Louise et à Bastien que... Oui, bon, O.K. Elle inspira profondément en se forçant à sourire, se disant qu'il ne servait à rien de continuer à s'énerver. L'incident était clos. Inutile d'en rajouter.
- Ha ha ! Je te l'avais bien dit ! jubila Bastien, qui ne ratait pas une occasion d'en rajouter, à l'intention de sa soeur.
--Ce texte fait référence à l'édition
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EAN
9782253178156
Caractéristiques
| EAN | 9782253178156 |
|---|---|
| Titre | Le bruit des silences |
| Auteur | Gans Valérie |
| Editeur | LGF |
| Largeur | 110mm |
| Poids | 226gr |
| Date de parution | 09/04/2014 |
| Nombre de pages | 402 |
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