Comment tout a commencé

Fromm Pete - Bury Laurent

GALLMEISTER

Des rafales hurlantes mordaient les coins de la maison, percutaient la toiture, secouaient les vitres, et j'étais étendu dans le noir, les yeux ouverts, j'écoutais. Ces tempêtes, Papa les appelait des Blue Northers, des "tempêtes bleues du nord", et à travers le bruit du gravier qui fouettait la maison, le crissement occasionnel d'un créosotier projeté contre la façade, par-dessus les gémissements plaintifs du vent lui-même, je m'efforçais d'entendre les premiers signes du retour d'Abilene. J'avais même gardé mon jean, pour ne pas être nu quand elle rentrerait.Elle était partie depuis plus d'une semaine, sans un mot, et Papa et Maman paniquaient en silence, laissant leurs phrases en suspens chaque fois que j'apparaissais. Mais Abilene et moi n'avions jamais manqué un norther, jamais.Quand j étais petit et que je portais encore des pyjamas, avant que les disparitions soudaines d'Abilene ne soient même imaginables, je me glissais dans sa chambre dès que le vent se levait. Enveloppés sous les mêmes couvertures, nous gloussions tandis que le monde entier était mis sens dessus dessous par quelque chose d'aussi terriblement ordinaire que le vent. Rien ne pouvait l'arrêter, ni même le ralentir, si ce n'était l'horizon plat et sans fin qui s'étendait à perte de vue, couvert de créosotiers touffus, secs et cassants et de mesquites grands comme un homme. Le vent rugissait à travers cette mince végétation, arrachait tout ce qui était brisé, empoussiérait le ciel plusieurs jours d'affilée. Mais nous ouvrions toutes les fenêtres de sa chambre, tremblant l'un contre l'autre dans le noir, nous sentions cet étrange froid humide, l'odeur brûlée du désert, prégnante comme jamais auparavant. Abilene disait que si Papa et Maman nous trouvaient ainsi, on leur raconterait que la tempête m'avait réveillé, qu'elle m'avait effrayé. Le visage enfoui dans son oreiller, nous riions comme des fous à l'idée que quelque chose puisse nous effrayer. Nous riions à en avoir mal aux côtes, à devoir repousser les couvertures pour respirer. Puis on restait immobiles dans le froid, serrés dans les bras l'un de l'autre afin de nous réchauffer, et nous écoutions le vent furieux qui faisait rage partout où il lui plaisait d'aller.Mais c'était du temps où nous n'étions que des gosses. A présent Abilene était trop grande, moi-même j'étais trop grand pour aller dans sa chambre sur la pointe des pieds, si vive qu'en ait été mon envie. Même si elle avait été à la maison.Dehors le vent continuait à se déchaîner, à siffler à travers les bardeaux mal fixés mais, tandis que je restais allongé là à contempler l'obscurité, le bruit se transforma en une sorte de berceuse et, au lieu de bondir de mon lit pour ouvrir la fenêtre comme nous le faisions autrefois, je finis par m'endormir. De toute façon, je me serais senti trop seul si j'avais eu dans la chambre le désert tout humide et froid rien que pour moi.Je fus réveillé par le grincement de la fenêtre qui résistait dans ses montants. Je me redressai en souriant, imaginant l'air enthousiaste d'Abilene en train de taper de ses deux poings sur un angle, puis sur l'autre, repoussant ainsi chaque bord de la fenêtre pour l'ouvrir et laisser entrer le vent. Peut-être même sautillerait-elle avec moi comme avant.Mais la fenêtre, bien qu'à demi ouverte, était déserte. Une lumière pâle inondait la pièce en même temps que le froid, comme s'il y avait un incendie quelque part à l'extérieur. Il faisait assez clair pour que j'y voie autour de moi, mais la seule autre personne présente dans ma chambre était Nolan Ryan sur mon vieux poster fantomatique dans la lueur du dehors: il avait la jambe à la hauteur du menton, prêt à décocher sa fastball qui tue, le mot FIREBALLER en arc au-dessus de sa tête.Puis, plus sonore encore que le vent, je perçus le bêlement du camion d'Abilene avec son pot d'échappement cassé, je humai la brume rampante de ses fuites bleutées.

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EAN
9782351780657
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