Banksy & Moi

Fontenaille Elise

ROUERGUE







Extrait



Darwin et Ophélie

Mon nom, c'est Darwin, je vis dans un quartier de la ville en chantier permanent : chaque jour ici on démolit, et en même temps, on reconstruit. Seulement, c'est pas ceux qu'on chasse des taudis qui vivront ici, ça non : le quartier est devenu super cher, à ce que dit ma mère, et ma mère, elle s'y connaît en vie chère.
Ça expulse à tour de bras, et ça c'est un spectacle bien triste à voir : des familles entières à la rue, parce que les parents - des mères seules avec leurs mômes souvent - ne peuvent plus payer le loyer, qui grimpe en flèche... même quand on a un travail, c'est plus possible de suivre.
Ma mère encore, elle s'en sort, elle a un bon job, et puis notre proprio n'est pas un requin, c'est rare, mais ça existe.
Juste en face de chez nous, il y a un grand mur en parpaings gris - un garage abandonné -, toutes nos fenêtres donnent dessus, c'est tout ce qu'on voit, ça lui flanque le cafard ce grand mur gris à ma mère :
- Ils pourraient pas le foutre en l'air, au lieu de fracasser l'immeuble d'à côté à coups de bulldozer et de chasser ces pauvres gens ?
Moi je m'y suis fait, je suis né ici, je l'ai toujours connu ce mur moche, alors...
Ma mère s'appelle Ophélie. Elle est chauffeur de taxi, elle travaille de nuit, le jour je ne dois faire aucun bruit ; elle rentre à l'aube et dort la journée, comme les chauves-souris.
Elle est née dans un pays d'Afrique où j'ai jamais mis les pieds : la Somalie. Un pays où j'ai pas trop envie d'aller : il y a la guerre tout le temps, les gens meurent de faim par milliers... Un ami d'Ophélie, qui bosse pour une ONG et va souvent là-bas, Jean-Bernard (on l'appelle Jibé), m'a dit qu'en Somalie, il y a les plus belles femmes du monde.
-... Et je m'y connais, en femmes ! Regarde ta mère : elle ressemble bien plus à une princesse des Mille et Une Nuits qu'à un chauffeur de taxi - la Reine de la Nuit.
Et ils se marrent, tous les deux.
J'aime bien quand elle rit, Ophélie, j'aime quand elle chante aussi, une langue que je ne comprends pas, mais qui me remue le coeur, des paroles douces et chaudes comme le vent qui racle les montagnes bleues de Somalie, loin d'ici.
Ma mère, Jibé l'a connue une nuit à l'aéroport -il revenait d'Afrique, où il passe la moitié de sa vie à essayer d'aider les gens à ne pas mourir de faim, de soif, de maladies... mais ça ne marche pas vraiment. Les guérillas compliquent tout, à ce qu'il dit, comme si la sécheresse et le désert qui s'étend ne suffisaient pas... et les corps des enfants finissent dévorés par les mouches.



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EAN
9782812606618
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