Les Filles du cahier volé

Deforges Régine - Abauzit Manon - Marcos Leonardo

DIFFERENCE

Extrait de l'avant-propos de Leonardo MarcosRégine Deforges incarne le feu. D'une beauté incendiaire, à l'image de sa chevelure rousse, véritable crinière de lionne, elle suscite des passions dangereuses, au risque d'être brûlée comme sorcière. Attiré par cette flamboyante créature, j'ai eu envie de la rencontrer. Et comme «il n'y a pas de hasard mais que des rendez-vous», j'ai appris que Régine Deforges et Pierre Passebon, mon galeriste, avaient grandi à Montmorillon et se connaissaient depuis longtemps. Grâce à Pierre, j'ai pu aller chez Régine pour lui présenter mes photographies, dont celles que j'ai réalisées d'une autre femme sulfureuse, Catherine Robbe-Grillet. Régine a examiné mes clichés en silence, avec une grande concentration. Je n'ai pas su interpréter son attitude. Réserve, manque d'intérêt, ou encore autre chose?Le soir de mon vernissage, j'ai été surpris de voir Régine car elle ne m'avait pas dit qu'elle viendrait. Elle a regardé les photos et les films projetés avec le même air calme et serein. Elle ne m'a quasiment pas parlé ce soir-là. Pierre m'a appris par la suite qu'elle avait beaucoup aimé mon travail. J'ai souhaité la revoir et je suis retourné chez elle, dans l'espoir de créer un lien et de percer un peu son mystère. Hélas, sans grand succès. Elle est restée impassible, peu communicative, ce qui a forcément écourté notre entretien. Enfin, à l'instant où j'allais partir, elle m'a interpellé: «Attendez, Leonardo, j'ai quelque chose pour vous.» Elle m'a tendu un de ses livres, un recueil de nouvelles. «Tenez, peut-être ce livre vous inspirera-t-il des images?» J'ai pris le volume sans comprendre. Puis, j'ai pensé qu'elle avait dans l'idée que ses textes pouvaient être illustrés par mes photos.Je parle de ce projet à Pierre, qui m'en dissuade aussitôt. Il est convaincu qu'un autre livre de Régine, Le Cahier volé, écrit dans les années soixante-dix, est plus proche de mon univers artistique. Il s'agit d'un récit autobiographique: adolescente, Régine a été victime d'une épouvantable persécution à cause d'une liaison amoureuse avec une fille de son âge, révélée à la suite du vol de son journal intime. La gendarmerie est intervenue et Régine s'est retrouvée accusée d'outrage aux bonnes moeurs. Exclue de son collège, déscolarisée pendant un an, elle était aussi régulièrement insultée et agressée dans la rue par les habitants de Montmorillon. Régine a été victime d'une discrimination sournoise: elle a été attaquée parce qu'elle venait d'un milieu modeste, alors que Manon, l'autre jeune fille, issue de la bourgeoisie locale, n'a pas été malmenée malgré son homosexualité affichée. On s'en est pris lâchement à Régine, simplement parce qu'elle était différente - et c'est justement de cette «différence» qu'elle fera son cheval de bataille. Cette affaire où la vindicte publique, soutenue par les institutions républicaines, s'est exercée à l'encontre d'une adolescente vulnérable, n'est pas sans rappeler les jours sombres de l'Occupation.Pierre a vu juste, l'histoire de Régine résonne en moi à plus d'un titre: l'intérêt que je porte à l'amour entre filles et que reflètent les images que j'ai réalisées, et mon indignation face à l'intolérance et à toutes les formes de discrimination. Je suis un enfant de l'exil: mes parents ont fui l'Espagne et le régime de Franco. Mon père a combattu le fascisme à l'âge de vingt ans et ma mère a perdu quasiment tous ses frères, fusillés, tandis qu'une de ses soeurs était emprisonnée. Après avoir franchi la frontière clandestinement, mes parents ont connu les camps, la faim, le froid, l'humiliation et bien d'autres épreuves encore. Ils m'ont appris à ne pas accepter l'inacceptable. La violence exercée sur Régine, qui fait écho à l'histoire de ma famille, me touche profondément.Je suis retourné la voir pour lui faire part de mon intérêt pour son histoire. Elle m'a confié qu'elle restait traumatisée par ce drame vécu dans son adolescence, qui l'avait empêchée d'écrire pendant des années.Pour en savoir plus, j'ai fait, toujours grâce à Pierre, la connaissance de Manon, qui vit à Montmorillon. Très vite, elle s'est confiée et a évoqué avec beaucoup d'émotion ses souvenirs douloureux. J'ai eu envie de les faire témoigner l'une et l'autre, séparément puis ensemble, afin de dépasser la forme romanesque du Cahier volé.

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EAN
9782729120276
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