Nous crions grâce. 154 lettres de pacifistes, juin-novembre 1916

"Monsieur le député nous crânons tous devant le monde, mais quand nous sommes seuls, quand on ne nous voit pas, quand nous pouvons être sincères, nous vous tendons nos mains suppliantes, nous vous montrons les pauvres gosses qui pleurent en nous disant papa quand ils nous voient partir une fois encore et qui comprennent vaguement (...) que nous ne sommes que de la poussière qu'on balaie, nous vous tendons les mains et nous crions: assez. Vous comprendrez très bien qu'étant militaire dans ce pays de liberté, je ne signe pas ma lettre et que je n'indique même pas ou je suis, ni ma situation. Malheur à moi si cela venait à être découvert." Cet extrait d'une lettre écrite le 25 juin 1916, au paroxisme de la terrible bataille de Verdun - 500 000 hommes morts, tant Français qu'Allemands -, provient de la correspondance reçue par le député socialiste Brizon après son discours à la Chambre où il avait justifié son refus de voter les crédits de guerre: "nous refusons de voir tomber nos soldats pour donner Constantinople à la Russie". Quelques dizaines de combattants, quelques dizaines de civils, de femmes et de militants ont alors écrit à Brizon leur admiration pour son geste et, surtout, leur épuisement, leur sentiment d'un drame infini. Sans doute cette poignée d'hommes ne représentent-ils pas l'opinion de l'ensemble du pays en guerre et des cinq millions de combattants. Pourtant l'ensemble de ces lettres ont prétendu témoigner pour "tous, tous, tous" comme l'écrit un des correspondants. De plus, par leur anonymat, par leur expédition de l'arrière, par leur transmission par des intermédiaires, ces lettres, qui sont une trace exceptionnelle d'une écriture populaire, ont évité toute censure ou auto-censure. De ce fait, elles dégagent un sentiment d'authenticité rare qui nous bouleverse et résonne encore en nous profondément.