Sacrées familles !

Collectif , Gross Martine, Mathieu Séverine, Nizar

ERES







Extrait

Extrait de l'introduction de Martine Gross, Séverine Mathieu et Sophie Nizard Lors d'une réunion de famille, se retrouvent les petits-enfants d'un homme juif russe qui avait épousé une femme française issue de la bourgeoisie catholique pratiquante. Leurs quatre enfants ont été élevés dans la religion catholique. Une de leurs filles a ensuite épousé un catholique pratiquant. Ils ont eu à leur tour cinq enfants, tous élevés dans la religion catholique et aujourd'hui encore pratiquants. L'aînée raconte que son mari et elle ont eu recours à de nombreuses tentatives de FIV, et qu'après avoir songé à l'adoption, ils ont renoncé à avoir des enfants. La deuxième vit avec une femme américaine aux États-Unis : ensemble, elles ont eu recours à l'insémination artificielle et sont mères d'un petit garçon âgé de 1 an. Le troisième, après s'être marié à l'église, vient de divorcer et vit en union libre avec une femme elle-même divorcée. Leurs enfants respectifs sont en résidence alternée. Le quatrième déclare ne pas vouloir «se fixer», et invite ses nombreuses conquêtes au domicile de ses parents. La cinquième, enfin, vient de faire un don d'ovocyte, pour permettre à sa cousine d'accéder elle-même à un don. Les traditions religieuses, longtemps en situation de monopole, ont élaboré des modèles normatifs de la conjugalité et de la parenté, fondés sur des représentations d'un «ordre naturel». Ces modèles ont durablement influencé les constructions du droit du mariage et de la famille, bien au-delà du processus moderne de la laïcisation des institutions et de la sécularisation des sociétés. Comme l'analyse Danièle Hervieu-Léger, l'Église catholique par exemple, qui réservait la régulation de l'intime au secret du confessionnal, a porté cette question sur la scène publique à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. Privée de pouvoir politique après la Révolution française, «l'Église a trouvé dans la famille un lieu privilégié d'où elle pouvait non seulement organiser sa propre reproduction sociale et idéologique, mais également continuer d'exercer, par le façonnement des consciences et le contrôle des corps, une influence sociale (et au moins indirectement politique) majeure». L'encyclique Humanae Vitae de 1968 (qui interdit notamment la contraception) est une illustration de ce processus. Comme le montre Martine Sèvegrand, cette encyclique a ébranlé nombre de fidèles catholiques souffrant du décalage entre leurs pratiques intimes et l'autorité de l'Église, préparant à la crise du militantisme catholique. On doit à Pierre Legendre d'avoir réfléchi sur les liens entre généalogie, ordre juridique et ordre social. Il fonde son analyse sur une tradition instituée au cours de l'histoire de l'Occident, ancré dans le droit romain, instaurant un ordre «inestimable» selon lequel chacun est assigné à une place dans la différence des sexes et la différence des générations. Pour lui, tout ébranlement de cet ordre menacerait la continuité de l'humanité. C'est le droit qui serait à même de protéger la société d'éventuelles dérives. S'il a raison de dire que le droit pose des limites, il semble ignorer que les normes évoluent sans pour autant signifier un effondrement des sociétés, sans supprimer l'interdit fondamental de l'inceste, ni enfin nier la différence des sexes. Les transformations contemporaines de la famille en sont l'illustration. Elles interrogent les modèles normatifs, qu'ils soient juridiques, religieux ou qu'ils relèvent des régulations politiques de la famille. Elles questionnent également les représentations sociales, les pratiques religieuses et le fonctionnement des institutions. Elles prennent la forme d'une pluralisation des formes conjugales et familiales (couples mixtes, familles recomposées, adoptives, monoparentales, homoparentales) et d'avancées scientifiques en matière de procréation : Insémination artificielle avec don (LAD), Fécondation in vitro (FIV), dons de gamètes, Gestation pour autrui (GPA)... Autant de défis contemporains de la parenté, pour reprendre le titre de l'ouvrage dirigé par Enric Porqueres i Gené, inaugurant un renouvellement de l'anthropologie de la parenté à partir des terrains présentés par les auteurs. La démarche novatrice du présent ouvrage réside dans la mise en relation systématique du religieux et de la parenté, non seulement en travaillant sur les fondements religieux des normes juridiques et sociales, mais aussi en explorant, sur des terrains pour la plupart nouveaux, les pratiques et les représentations des acteurs pris entre normes religieuses et mutations contemporaines de la famille.



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EAN
9782749214832
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