Discours sur le suicide
Extrait de la préface:
L'hermine et le scorpion
Bien que Casanova précise que le Discours et les Dialogues sur le suicide défendent des thèses contradictoires (le premier le dénigrant et les seconds en proposant un panégyrique), les deux textes inédits qui sont ici proposés en français pour la première fois aboutissent, en réalité, à des thèses similaires sur la grandeur et le courage de ce geste d'un point de vue intentionnel, et sur l'illusion de liberté qu'il donne à l'homme qui l'accomplit et à ceux qui l'observent.
C'est dans les Dialogues, qui ne furent pas publiés du vivant de l'écrivain et qui attendirent l'édition de Paolo L. Bernardini (Aracne Editrice, 2005) pour voir le jour dans leur langue originale, que Casanova fournit les arguments les plus raisonnes, en rédigeant, sous la forme antique d'un débat entre deux philosophes anonymes (un athée A et son contradicteur croyant B), une véritable petite métaphysique de la mort volontaire. Pour fonder ses arguments et leur contradiction, Casanova convoque non seulement les citations qu'il a déjà proposées treize ans plus tôt dans son Discours (lui, publié en 1769, à Lugano, dans la Confutazione délia storia del governo Veneto d'Amelot de la Houssaie, rédigée, peut-être en partie, l'année précédente dans la prison de Barcelone où il a purgé une peine de quarante-deux jours et destinée à permettre son retour à Venise) et qui pour la plupart viennent de très célèbres textes stoïciens ou épicuriens, de poèmes, de tragédies, de satires, d'épîtres et d'anecdotes d'historiens (Plutarque, Suétone, Strabon, Tacite) rapportées fréquemment (entre autres par Montaigne), mais aussi les analyses de Voltaire, de Hobbes, de Bacon, de Rousseau.
S'il est vrai que les Dialogues furent rédigés en 1782, ils dateraient de la période la plus «littéraire» de Casanova, c'est-à-dire quand, de retour à Venise, il multiplie les projets pour vivre de sa plume et de son activité «journalistique» ou pamphlétaire, sans grand succès. Il traduit, il crée des mensuels culturels, il fait venir des troupes de théâtre, il publie des pochades, il est le secrétaire d'un diplomate génois.
La forme des deux textes, même si l'on y retrouve des citations et des raisonnements communs, diffère sensiblement, puisque les Dialogues procèdent par thèmes progressifs liés à la théologie et examinent la question du suicide du point de vue de la croyance en Dieu en soulignant les contradictions des théologiens, alors que le Discours part de l'évidence chrétienne que le suicide est un «acte abominable». Si le Discours s'attaque naturellement au point de vue antique, sans aborder directement la question de l'existence d'une volonté divine ou, plus généralement, d'une téléologie de la nature, les Dialogues se placent sur le terrain théologique: l'homme est-il libre de choisir sa fin? Ou bien ses gestes, quels qu'ils soient, ne sont-ils pas plutôt l'expression d'une nécessité qui le dépasse (soit par la folie, soit par la volonté d'un Dieu, soit par la loi de la nature, soit par ce que Casanova appelle la «désertion de soi»)?
Les Dialogues sont restés inédits jusqu'en 1994 où ils ont été publiés pour la première fois, mais dans une traduction allemande, et sont inachevés. Plusieurs feuillets manquent dans le manuscrit retrouvé aux archives de Prague. Les citations nombreuses sont, pour la plupart, en latin, avec de très rares indications de source, le plus souvent, quand elles figurent, erronées, vagues ou incomplètes. Nous les avons rétablies. Ces anecdotes ou aphorismes appartenaient à la culture générale d'un homme de lettres du XVIIIe siècle, et le plus souvent étaient, depuis la Renaissance, de seconde main, citées de manuel historique en manuel moral. Par exemple, Léonard de Vinci évoque déjà le caractère «modéré» de l'hermine. Le lecteur retrouvait donc des personnages, des mots, des situations, des contextes psychologiques et historiques qui lui étaient familiers. Germaine de Staël prend souvent les mêmes exemples et cite les mêmes textes dans ses Réflexions sur le suicide: Caton lisant Phédon, Hégesippe (Hégésias) de Cyrène...
Il est difficile de ne pas comparer, par ailleurs, Casanova à un contemporain de Mme de Staël, Giacomo Leopardi qui, lui, était partisan du suicide (quoique, comme Cioran, il mourût de mort naturelle). Son argument était qu'au suicide les philosophes opposent la loi de la nature. Se suicider serait «contre nature». Mais, répond Leopardi, «ceux qui disent que le suicide ne peut se produire sans une espèce de folie, car il est impossible sans elle de renoncer à l'espoir, etc., parlent sottement. Indépendamment des sentiments religieux, c'est une folie heureuse et naturelle, mais vraie et constante, que de persister toujours à espérer et à vivre, et c'est très contraire à la raison qui nous montre trop clairement qu'il n'y a aucun espoir pour nous» (Zibaldone, 23 juillet 1820).
| EAN | 9782743617301 |
|---|---|
| Titre | Discours sur le suicide |
| Auteur | Casanova Giacomo ; Ceccatty René de |
| Editeur | RIVAGES |
| Largeur | 110mm |
| Poids | 109gr |
| Date de parution | 24/10/2007 |
| Nombre de pages | 164 |
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