Le cinéma des familles

Pierre Alferi, avec "Le Cinéma des familles" nous donne très probablement le livre le plus exubérant, le plus inventif de la rentrée. On pourrait dire que c'est une fantasmagorie (projection d'ombres) qui reconstitue en kaléidoscope le monde imaginaire d'un enfant, les histoires qu'il se raconte, les faits qu'il interprète et déforme. Mais ces ombres ont un singulier relief et une densité des plus fortes dont il n'est pas sûr que la réalité soit pourvue. Et la structure kaléidoscopique, outre qu'elle autorise une plus grande mobilité à travers les images et les registres permet de restituer la richesse, l'apparente incohérence, le caractère mouvementé, quasi cinématographique, de l'imaginaire enfantin. C'est en même temps tout à fait romanesque, tout à fait monté comme l'est un grand film (une histoire avec début, péripéties et fin, crimes, disparitions, résurrections, errance, perversions, déguisements, personnages extravagants) et d'une richesse formelle rarement atteinte (ruptures de ton, syncopes, poèmes incrustés, mots inventés, syntaxe tordue accélérée). Ca parle de la fabrication des mythes familiaux (et ça les fabrique sous nos yeux) donc de la famille de tout le monde en tant qu'elle est composée de figures incompréhensibles comme des dieux. Mais il faut dire aussi que c'est tout à fait drôle, parfois irrésistiblement drôle : forme et fond se renvoyant à toute vitesse les balles changeantes de la fiction et du souvenir, au prix de contorsions et de postures de plus en plus déséquilibrées, hasardeuses et cependant toujours redoutablement efficaces.