Transmigrants et nouveaux étrangers

Tarrius Alain - Missaoui Lamia - Qacha Fatima - Bo

PU MIDI

Extrait de l'introduction d'Alain TarriusACTIVITÉS SANS FRONTIÈRESDe temps immémoriaux des hommes apportent leurs savoir-faire, leurs croyances, leurs rêves au-delà des frontières, celles du moment, et en importent tout autant. Départ de la famille, du village ou de la nation, le voyage est douloureux lorsqu'il se nomme «exil» et certains préfèrent les tourments de la faim ou du tyran, l'insupportable poids des contraintes familiales, au déracinement sans perspective de retour. D'autres négocient le voyage avec son retour: ils «prennent la route», la reconnaissent, la modifient, reviennent, repartent parfois en tournées, suivant les rythmes de leurs activités; ils deviennent familiers de l'ici, du là-bas et de l'entre-deux: c'est eux que nous accompagnons dans nos recherches. Nous abandonnons donc la perspective des ravages de la «mobilisation internationale de la force de travail» et de ses déportations massives et sans retour, telles que développées tout au long des XIXe et XXe siècles, associées souvent aux soumissions guerrières.Il existerait en effet des histoires heureuses du passage des frontières: des commerçants, colporteurs de montres ou passeurs de tabacs sont figurés, sur d'anciennes gravures, en randonneurs, goûtant aux meilleurs mets des étapes, se riant des gabelous embusqués dans le froid et la nuit. Et les mosaïstes du Frioul, comme les façadiers piémontais, en tournées par bandes de plusieurs dizaines d'associés, n'emportaient-ils pas dans leurs besaces leurs meilleurs vins pour le dernier repas du dernier chantier avant le retour au foyer? On doit à ces compagnons la décoration du plafond du Palais Garnier, ou du mausolée de Lénine, les façades de plâtre lissé de nombreuses rues des villes européennes, dont le Paris du 1er arrondissement, les belles fresques des chapelles rurales de Savoie. Ces mobilités transfrontalières se justifiaient par la notoriété des artisans: l'iconographie européenne - Russie, Espagne, Royaume-Uni, et même Empire ottoman - expose des représentations des mêmes ouvriers, pantalons amples, ceinture de flanelle serrée et coiffe blanche des façadiers turinois... Plus près de nous, le revêtement de marbre blanc de l'Arche de la Défense n'a pu être réalisé, «au noir» pour l'essentiel, que par des ouvriers de Carrare, lors de rotations mensuelles. Les tournées internationales de paysans bulgares, le «gourbet», pour des cueillettes dans les Balkans, donnaient lieu à des fêtes locales et les vendangeurs polonais et espagnols savent animer en France des soirées joyeuses, en fin de journée. Certaines compagnies de bâtisseurs, au XIIe siècle, tenaient la dragée haute aux seigneurs et abbés qui les sollicitaient. L'iconographie est riche en présentations heureuses des sociabilités exposées à ces occasions de tournées transfrontalières laborieuses de chez soi à chez soi. Formes subalternes de mobilités professionnelles pré-capitalistes? Anachronisme pour celles qui ont survécu pendant la grande mobilisation internationale du capitalisme industriel, et son cortège d'interminables souffrances qui se renforcent parfois, au fur et à mesure des successions de générations?

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EAN
9782810702381
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