Philosophes sans Dieu. Textes athéées clandestins du XVIIIe siècle

Mothu Alain - Mori Gianluca

CHAMPION







Extrait



Extrait de l'introduction

Philosopher sans Dieu, c'est à cette tâche ardue que s'attaquent, dès le début du XVIIIe siècle, quelques philosophes français de formation différente, dont les doctrines se dispersent dans des ouvrages, pour la plupart manuscrits, qui restent enfouis dans les cabinets de leurs auteurs ou circulent furtivement sous le manteau. Bien avant le Système de la nature du baron d'Holbach, qui couronnera en 1770 plusieurs décennies d'activité souterraine, l'athéisme connaît une diffusion discrète mais réelle, qui traverse la culture des Lumières et a déposé dans nos archives des traces palpables de son passage.
Sa présence fut certes alors minoritaire, à la jauger en termes purement quantitatifs, et cela même à l'intérieur de ce que l'on appelle communément la «littérature philosophique clandestine» - par quoi l'on désigne le champ documentaire révélé par les travaux fondateurs de Gustave Lanson (1912) et de Ira Owen Wade (1938). En effet, parmi plusieurs centaines d'écrits manuscrits antireligieux repérés dans les bibliothèques européennes, seuls quelques-uns peuvent être incontestablement regardés comme «athées». Ceux-ci représentent cependant, dans leur majorité, les écrits les plus authentiquement philosophiques de ce corpus, tant en vertu de leur engagement conceptuel que par le fait qu'ils se mesurent avec les classiques les plus importants de la pensée moderne : Descartes, Hobbes, Spinoza, Malebranche, Leibniz, Locke, etc.
Pour autant, gardons-nous de croire qu'il exista, dans la première moitié du siècle des Lumières, un mouvement athée homogène et organisé, voire cosmopolite et international, analogue au courant «panthéiste» lié plus ou moins organiquement aux cercles de la franc-maçonnerie anglaise et hollandaise, ou comparable à la fameuse et plus tardive «coterie holbachique», armée de son bras séculier amstelodamois en la personne du libraire Marc-Michel Rey. Les athées français de la première moitié du siècle, assurément, se laissent plus difficilement intégrer dans un cadre unitaire, et cela en raison, aussi bien de leurs options philosophiques particulières, que de leur attitude à l'égard du pouvoir établi.
De ce dernier point de vue, il faut observer que ces hommes - dont l'identité nous échappe encore souvent aujourd'hui - ne sont en général animés d'aucun projet révolutionnaire. Aussi, malgré les liens incontestables que l'on peut repérer ou soupçonner entre certains d'entre eux - entre Boulainviller et Fréret, par exemple, ou entre ce dernier et Du Marsais -, ils ne forment pas secte, ni ne complotent en secret pour un idéal laïc et républicain. De là, la difficulté que nous éprouvons à les rattacher à ce que l'on a coutume d'appeler depuis quelques années - en usant d'une formule manifestement anachronique mais non dépourvue d'efficacité - les «lumières radicales», objet des travaux de Margaret C. Jacob et, plus récemment, de la vaste fresque de Jonathan Israël. Le radicalisme (indéniable) des athées clandestins français est avant tout philosophique : leur objet polémique est constitué par les dogmes théologiques du christianisme, alors que leur intérêt pour les problématiques politiques s'avère en général plutôt tiède, quand il ne s'affiche pas clairement conservateur. Aussi leur entreprise n'est-elle pas, pour l'heure, destinée à sortir des cercles fermés de la libre pensée, des cafés parisiens ou des salons de quelques personnages de haut rang attirés, ou même conquis, par les idées nouvelles et hardies - et les exemples, à cet égard, ne manquent pas : du Régent au duc de Noailles, en passant par des membres des académies royales ou du Parlement, nombreux furent ceux qui accueillirent chez eux de petits cénacles libres penseurs, auxquels participèrent même des censeurs royaux, des commissaires de police et des ecclésiastiques.



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9782745321275
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