CHARLES PEGUY ET LA MODERNITE

Extrait

Extrait de l'introduction générale «Il est effrayant, mon ami, de penser... que nous avons le droit de faire une mauvaise lecture d'Homère, de découronner une oeuvre de génie, que la plus grande oeuvre du plus grand génie est livrée en nos mains, non pas inerte mais vivante comme un petit lapin de garenne.» Elle est vivante l'oeuvre de Charles Péguy. Depuis près d'un siècle, elle est entre nos mains, à la merci du lecteur. Elle suscite bien des commentaires et d'innombrables analyses. Elle reste une référence même si la tentative d'en offrir une interprétation globale semble une gageure, un défi difficile à relever. Retrouver l'intention constante de l'auteur, montrer l'unité profonde d'une oeuvre qui embrasse toute une existence intellectuelle et spirituelle, dégager l'intérêt théologique d'une pensée tout à la fois combative et contemplative, voilà le but que poursuit notre travail. Littérature et théologie : le sens d'une recherche Le Père Duployé débute son étude magistrale sur Péguy par un ensemble de considérations sur les rapports entre la théologie et la littérature. Le constat est abrupt : Le statut que la théologie classique accorde sur son propre territoire à une oeuvre comme celle de Charles Péguy est parfaitement défini : il est de ceux que cette théologie n'envisage pas ; il est inexistant. La théologie ne reconnaît pas la littérature, au sens où l'on dit d'une puissance qu'elle ne reconnaît pas le gouvernement d'une autre puissance. Une telle situation, poursuit notre auteur, est paradoxale, voire scandaleuse si l'on considère le nombre des écrivains catholiques qui, depuis deux siècles, servent l'intelligence de la foi du peuple des fidèles : Chateaubriand, Barbey d'Aurevilly, Villiers de l'Isle-Adam, Bloy, Claudel, Bernanos, Mauriac, Green et, bien entendu, Péguy occupent une place de tout premier rang dans la conscience catholique. Cependant il serait injuste de conclure que les théologiens officiels n'ont jamais tenu compte de la littérature. La sévérité du constat dressé par le Père Duployé doit être tempérée au vu de l'histoire de la théologie depuis la Deuxième Guerre mondiale. Il ne faut pas oublier, en effet, que tous les théologiens ont bénéficié d'une formation classique qui accorde aux grands auteurs une place de choix. Ils manifestent souvent un intérêt manifeste pour le mouvement intellectuel, et par conséquent littéraire, de leur époque. Le contact avec les étudiants, lorsque ces théologiens sont aussi professeurs, les a rendus sensibles aux courants de pensée divers qui se sont développés dans l'Église et dans le monde. Il n'en reste pas moins que la littérature est parfois difficilement appréhendée par des chercheurs plus à l'aise avec des concepts philosophiques dont l'utilité et l'importance dans l'élaboration d'un discours théologique ne sont plus à démontrer.