L'écriture du messianique. La philosophie secrète de Walter Benjamin

Goldschmit Marc

HERMANN

La traduction du langage muet de la nature et de l'essence intime du monde

Dès 1916, en pleine guerre mondiale et alors que l'Europe est à feu et à sang, le texte Sur le langage en général et sur le langage humain [«Uber Sprache überhaupt und uber die Sprache des Menschen»], rédigé à la fin du mois de novembre sous forme de «lettre» à Gershom Scholem, dessine une conception générale du langage dans laquelle Benjamin développe une pensée de l'écriture qui précède et annonce le texte de 1923 «La tâche du traducteur» [«Die Aufgabe des Ubersetzers»]. Dans ce texte, Benjamin expose ce qu'on peut appeler sa «métaphysique» du langage.
Au langage est en effet attribué une portée générale et sa généralité est de l'ordre de celle de l'être, équivalente en extension à la totalité de l'étant ou du donné. Tout ce qui est a part au langage en tant que celui-ci est pensé comme médium - non comme poème - universel dans lequel se communique tout étant. «Ni dans la nature animée ni dans la nature inanimée, il n'y a d'événement ou de chose [Es gibtkein Geschehen oder Ding] qui, d'une certaine façon, n'ait part [teilhätte] au langage, car à l'un comme à l'autre, il est essentiel de faire part de son contenu spirituel [seinen geistigen Inhalt mitzuteilen].» Être signifie partager le langage avec les autres étants, le langage est le lieu de l'être de tous les étants, et non seulement de l'étant nommé Dasein par Heidegger dans Être et Temps. Dès le texte de 1916, on voit donc apparaître une pensée philosophiquement radicale du langage comme médium universel qui n'est donc pas déterminé comme logos ou phone. Le langage, en ce sens, n'est pas verbal et ne peut être propre à l'homme, il n'est donc pas ce qui différencie ontologiquement le Dasein des autres étants. C'est justement la possibilité de cette différence ontologique entre les étants qui est déracinée par Benjamin.
Dans ce texte de 1916, avoir part au langage, être, c'est faire part et communiquer un «contenu spirituel», qui correspond au contenu langagier: «Que communique le langage? Il communique l'essence spirituelle qui lui correspond [dus ihr entsprechende geistige Wesen]. [...] Ce qui est communicable dans une essence spirituelle c'est son essence langagière.» La correspondance entre le spirituel et le langagier institue un nominalisme général, et signifie que chaque essence possède un double sens, en ce qu'elle appartient au langage humain en même temps qu'à tout autre chose. L'essence langagière de toute chose se communique en effet dans le langage comme une «identité» qui possède un double sens, sans unité. Une unité ne peut constituer une essence langagière, car elle ne peut appartenir pour Benjamin au «pur langage», ou «langage même», par opposition au langage humain, c'est-à-dire au langage des langues (de la même manière que la pureté définira la violence divine dans le texte de 1921, Zur Kritik der Gewalt). Ce pur langage, sans double sens ni communication langagière, n'est pas un langage sacré en attente de sa sécularisation ou de sa profanation, mais il est le langage des noms qui nomment proprement les choses, langage perdu dès l'origine du langage humain.

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EAN
9782705670368
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