1352. Un médecin contre la tyrannie

Favre Philippe - Loretan Raymond

FAVRE







Extrait



Avril 1334, le Simplon

Le col était en vue, hommes et bêtes avaient imperceptiblement accéléré le pas. Guillaume releva le col de son manteau, il ressentait la masse d'air frais qui franchissait, comme eux, l'échancrure du Simplon. Dans ces hautes vallées alpines, l'hiver ne rend jamais les armes avant juillet. La chaleur corporelle entretenue par l'effort soutenu, au long de la montée, s'estompait déjà; et un frisson le saisit dans la moiteur de sa chemise. Il resserra instinctivement les coudes sur la besace qui renfermait son bien le plus précieux : son diplôme en medici physici avec une spécialisation en herbarii, la récompense de trois années d'études assidues à la nouvelle école de médecine de Bologne. Parvenu au sommet, il s'arrêta et emplit ses poumons. Mais une grosse claque sur l'épaule le fit tousser.
- Alors, Physicus, l'odeur du pays ça réjouit l'âme comme le fumet d'une poularde vous réjouit la panse ?
- La panse ou les couilles, ça dépend de ce que tu entends par «poularde» Palméron !
Les deux marchands hilares qui venaient de le dépasser lançaient déjà leurs ordres aux muletiers.
- Déchargez les balles, abreuvez les mulets, et ensuite pause pour les hommes ! tonitrua Palméron, puis, se retournant, vous deux, je vous offre un gobelet de vin à l'hospice, nous boirons à la santé du comte Aymon.
- Que Dieu bénisse Aymon le Pacifique qui nous a pris sous sa sauvegarde, approuva Giordano. En autorisant l'ouverture de notre maison de banque à Thonon, le comte de Savoie fait la fortune de notre famille.
Guillaume emboîta le pas des deux frères Turchi en direction de l'hospice du col. Même s'il devait reconnaître que depuis l'avènement d'Aymon, l'emprise de la Savoie sur le Vallais s'était passablement relâchée, il n'éprouvait cependant pas de grande reconnaissance à l'égard des comtes de Savoie, prompts à s'immiscer dans les affaires du diocèse afin de conserver le contrôle de la route du Mont-Joux et du Simplon.

L'aubergiste, visiblement, connaissait bien les deux marchands. Il les accueillit avec un pichet de vin blanc frais, délicat et floral.
- Déjà de retour, vous êtes en avance sur la saison, les frères Turchi ?
Palméron et Giordano Turchi étaient des Lombards, originaires de la ville d'Asti. Depuis la fin des croisades, le transit des marchandises n'avait cessé de croître, en provenance des ports de Venise et Gênes. Les Turchi s'approvisionnaient sur les comptoirs de Verceil d'où ils faisaient transiter soies et épices du sud au nord des Alpes, en direction des grandes foires de Champagne. Mais ils avaient récemment senti le bon filon du côté de la Savoie où ils avaient réussi à établir un comptoir, à Thonon. Le principal problème était le transfert des fonds qui s'avérait risqué malgré les sauf-conduits obtenus auprès des seigneurs locaux qui tiraient profit du péage exigé aux soustes, ces relais disposés aux points stratégiques sur la route du Simplon. Appliquant la devise de leur famille de marchands - «On n'est jamais si bien servi que par soi-même» -, ils avaient créé leur propre banque, ce qui leur permettait de ne transporter que des papiers valeurs de part et d'autre des cols alpins, les précieux florins d'or demeurant à l'abri derrière les remparts des cités.



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9782828914097
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