Le Poivre

Bouillère Olivier

POL

Ici tout est tranquille. On pourrait mourir cet été. La lumière flotte un peu floconneuse à travers les arbres, au-dessus de la pelouse. Contre le soleil le ciel est dur comme du minerai. C'est le même paysage depuis toujours. Le corps y est peu de chose. Pourtant il y est tout, comme la fiole qui le recueille. Il pourrait se briser. C'est au corps que tout tient. Ça rend le paysage assez fragile.
Ce paysage, Lorraine y a cru. Autrefois il avait la légèreté de la jeunesse, tous ses espoirs s'y soulevaient. Ensuite il a rayonné autour d'elle avec une fixité triomphale. Seulement cette année la fiole est empoisonnée. Le temps s'y trouble. C'est peut-être cet été qu'il faudrait mourir. Quelque chose est révolu. Dans la limpidité de l'air Lorraine sent l'épaisseur grise d'une poudre. L'air a changé. Le monde n'est plus pour elle. Elle a été jeune. Elle a été célèbre. Elle a été heureuse. Mais la vie même ne peut apporter que ce qu'elle a. Ça devrait mettre une limite à l'espérance. Ça peut finir maintenant. Ça peut continuer. Désormais tout est tellement pareil.
Lorraine regarde le jardin sous les arbres, dans cette frange d'atmosphère où la vie a lieu. C'est toujours cette maison où l'invitait Hélène autrefois, pendant les années fastes des Brissay. Elles occupaient la petite aile des enfants. Quarante ans après, Hélène et Douce de Brissay occupent à nouveau la petite aile, mais parce que la maison est louée pour les vacances. On passe sans déranger les locataires. Pour descendre se baigner il y a la largeur d'un sentier qui descend vers un bout du perré, derrière le cabanon. Douce et Hélène y lisent le journal. Quand on pense aux jeunes soeurs Brissay, rigolotes, Hélène autoritaire et Douce douce, qui hébergeaient Lorraine comme leur protégée. Finalement c'est Lorraine qui a eu un destin public, et Douce et Hélène sont seules cachées derrière leur cabanon. Pourtant ce sont les soeurs Brissay, rien de réel ne peut les entamer. Elles pourraient finir au camping d'Arcachon, elles auraient toujours l'impression d'avoir un palais au-dessus de leurs têtes.
La dernière fois que Lorraine était venue chez elles c'était l'été de L'Or et l'Argent, son premier disque. Elle allait au marché en paréo, les cheveux lissés au monoï, le visage brillant. Elle entendait sa chanson dans les boutiques. Elle rapportait son panier plein de courses et de colliers de coquillages. Le soir elles dînaient chez des voisins, elles marchaient pieds nus sur la plage ou à travers les jardins quand la marée était haute, en robes longues dans le soleil de huit heures. Être connue ne voulait rien dire. Elle était au calme, entre les pelouses et la mer. On ne lui demandait rien. Elle était une amie d'Hélène et elle pouvait aller où elle voulait. Elle était invitée.
(...)


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EAN
9782818016671
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