Guide du bénévole social

Arveiller Jean-Paul

ERES







Extrait

Adaptations secondaires «Il ne veut pas s'en sortir» est un air souvent entendu de la part de bénévoles (ou de professionnels) confrontés à la «mauvaise volonté» de celui qu'ils accompagnent dans une démarche jugée pour­tant comme positive pour lui. Comment peut-on expliquer ou comprendre cette attitude négative de celui qui, confronté à des difficultés objectives, n'entre pas dans le dispositif d'aide proposé, voire le met à mal dans une dimension qui semble parfois totalement masochiste ? Les choses sont, en effet, souvent loin d'être simples mais la sociologie va nous apporter quelque lumière. Toute personne a des capacités adaptatives qui sont mises au service d'une recherche d'équilibre entre son milieu et lui, et on pourrait dire de n'importe quel milieu et lui. E. Goffman, dans les années 1960, a mis en évidence, en étudiant certains lieux d'enfermement qu'il appelle institutions totalitaires (asiles, prisons, communautés religieuses, casernes...), certains mécanismes d'adaptation auxquels étaient obligés de se soumettre les internés pour pouvoir survivre dans le long terme. Adaptation paradoxale mais vitale psychologiquement. C'est ce mécanisme que certains ont décrit dans le cadre des camps de concentration où il était vital d'adopter une position passive d'adaptation au système d'oppression. «S'organiser, cela signifiait d'abord accepter sans discus­sion la totalité du système. Accepter son absurdité, sa logique mortifère, renoncer à son identité sociale, se définir comme numéro [... ] les prisonniers qui n'ac­ceptaient pas le camp, restaient agrippés à leur mémoire, refusaient la brutale réalité nouvelle et gardaient l'espoir étaient condamnés.» C'est aussi ce mécanisme que nous avons connu dans les hôpitaux psychiatriques il y a quelques années : les personnes hospitalisées contre leur gré revendiquaient leur sortie dans un premier temps puis, au bout de quelques semaines, commençaient à prendre les habitudes de l'hôpital, s'adaptaient, s'installaient même et alors, au bout d'un certain temps, il devenait difficile de faire avec elles un projet de sortie tant elles étaient devenues bien insérées à l'hôpital. C'est ce que l'on a appelé l'effet iatrogène de l'institution. Il en va de même bien souvent avec les personnes dont nous nous occupons : elles restent attachées à une situation pourtant difficile, car elles y ont trouvé un équilibre précaire qui leur permet d'avoir le senti­ment de maîtriser quelque chose de leur existence qui, sans cela, leur échappe totalement. Ce mécanisme d'adaptation secondaire consiste donc à s'adapter à la situation telle qu'elle est et a pour effet, bien souvent, de jouer contre les réels progrès et l'évolution vers une situation autre et probablement meilleure mais anxiogène car inconnue. On peut même ajouter que ce type de situation est souvent conforté par nos dispositifs qui ont fabriqué, entre l'inclusion et l'exclusion, un nouveau statut, celui de personne en insertion, c'est-à-dire incluse non pas dans la société globale mais dans un dispo­sitif auquel il faut s'adapter, ce qui éloigne, surtout quand ces dispositifs s'empilent, de la réelle intégra­tion sociale.



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EAN
9782749207902
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