Nos animaux préférés. Entrevoûtes

Nos animaux préférés relève du genre que Volodine, dans son système post-exotique, appelle des entrevoûtes, c'est-à-dire des nouvelles qui sont mises en rapport les unes avec les autres. Il s'y mêle également des « shagga » autre genre volodinien, qui réunit des poèmes et leurs commentaires. La structure de l'ensemble, très savante, est pyramidale, organisée thématiquement. Ce sont, en bref, des contes mettant en scène des animaux, des crustacés, un éléphant, des poissons femelles et une sorte de harem, à l'animalité incertaine. L'éléphant ouvre et ferme le recueil. La première nouvelle, sur un mode comique, raconte comment Wong (l'éléphant), dans un pays dévasté, est sollicité par une tueuse pour un rapport sexuel dont il ne le veut pas : il l'écrase gaillardement sous sa patte. La dernière nouvelle, sur un mode beaucoup plus tragique, mais non sans ironie, raconte la mort lente de Wong, qui a également refusé l'accouplement avec une humaine hystérique et sale, et s'enlise lentement dans le bitume, toujours dans un paysage de fin du monde. Les nouvelles (trois) qui parlent de crustacés (ou de crabes, on ne sait pas trop) font les portraits de divers rois, Balbutiar 30, 315 etc., qui, accrochés à leur rocher, contemplent la mer dans un demi-sommeil et tentent de s'opposer à des pêcheurs prêts à les mettre dans leurs filets. Enfin les « shaggas » sont de très beaux poèmes énigmatiques sur la vie des poissons et sur l'ennui et les frustrations d'un harem, dans une tonalité de Mille et une nuits. Dans un commentaire, assez ingénieux, l'auteur explique son fonctionnement poétique, qui est à la fois moins rigide et moins arbitraire qu'il ne semble.
Antoine Volodine est l'auteur d'une oeuvre importante publiée chez Denoël, Minuit, Gallimard, avant de l'être au Seuil où, avec Des anges mineurs, il a acquis un plus large public. Son langage, ses visions, son originalité font de lui l'un des romanciers les plus singuliers de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle. Sa connaissance des mystiques orientales et de la vie politique des pays de l'est et de la Chine font de lui un observateur très aigu de la modernité. Parmi ses oeuvres : Biographie comparéee de Jorian Murgrave et autres romans (Denoël, « des heures durant », 2003), Lisbonne, dernière marge (Minuit, 1990), Nuit blanche en Balkhyrie (Gallimard, 1997), Des anges mineurs (« Points » 918) et Dondog (« Points » n°1129), Bardo or not Bardo ( 2004 « Points » en novembre 2005).Une version légère, poétique, envoûtante de l'univers très noir de Volodine. Le discours sur les animaux permet les métaphores (sur le pouvoir, sur le sexe, sur la beauté et la laideur, sur l'humanité même, sur la mort, sur l'au-delà), mais la narration est trop fantaisiste et libre pour permettre une « morale » au sens des fables animalières. On est vraiment dans un royaume totalement poétique, avec une langue drôle, inventive, qui recourt parfois aux singularités lexicales et syntaxiques (qui évoquent souvent la poésie antillaise).