Marseille, une autobiographie

Thomazeau François

STOCK

L'esprit de Marseille nous a retrouvés à mi-pente. C'est un chemin de pompiers contournant la colline en direction du mont Saint-Cyr. Je me suis retourné pour observer en contrebas les tuiles du château Forbin et Martha m'a rejoint. Elle a tourné la tête, ses cheveux blonds ont flotté dans l'air ralenti. Sur la butte d'en face s'élèvent les ruines dodues du vieux castellum de Saint-Marcel. Elle ne dit rien. Mais je sens qu'elle frissonne. J'ai suggéré: «Redescendons». Nous avons cherché en vain une trouée dans le sous-bois pour approcher du château.
L'esprit nous a suivis dans l'ombre.
Nous avons quitté le «parc». Trois barrières, un banc de bois et un chemin de terre filant vers la colline. Un aménagement de bonne conscience de la mairie de Marseille, soucieuse de respecter son quota d'espaces verts. Nous regagnons la voiture. Lorsque nous l'avons garée, quelques instants plus tôt, des hommes sont venus rôder autour du parking de fortune, un renfoncement de caillasse et de poussière en face de l'entrée du «parc». Comme si ceux du vallon Saint-Cyr n'avaient jamais vu de Mini Cooper immatriculée en Suisse. Nous avons l'air, c'est vrai, de fichus touristes, Martha et un Stetson juché sur sa blondeur, ses lunettes de soleil Emmanuelle Khanh. Et moi, boudiné dans un polo Ben Sherman, hommage snob à une jeunesse dispersée. Les rôdeurs ont disparu derrière une clôture. Puis une voiture grise est venue se mettre à notre hauteur et stationner, moteur en veilleuse, moitié sur la route, moitié dans le fossé. Trois autres hommes mats, encore jeunes, en tenue de travail. Ils nous ont dit bonjour, ont tourné, viré, allumé et jeté des cigarettes, puis sont repartis.
Il n'est pas loin de 18 heures. L'été indien s'évapore. Le ciel tournoie comme un tambour gavé de vieux caleçons. L'air est lourd, la nature silencieuse. Pas de cigale, pas même le bruissement d'une escadre de moucherons. Un grognement sourd semble pourtant monter des entrailles de la colline. Le ronronnement d'un vieux frigo planqué sous la roche. Un faible rayon de soleil écarte les rideaux de nuages. Nous le suivons en direction du mont Saint-Cyr, jusqu'au virage où s'agrippe la pagode. Son portique donne sur un sentier défoncé, tracé en zigzag entre les autels de pierre. Martha ouvre la voie jusqu'au bungalow qui abrite les locaux du plus ancien lieu de culte vietnamien de Marseille.
«Personne». Elle mitraille le décor de son petit appareil numérique japonais.
«On dirait qu'ils sont partis en laissant tout derrière eux...»
Sur la porte de verre, une affichette annonce un loto pour la semaine prochaine.
L'esprit ne nous a pas suivis jusqu'ici. Il n'a pas osé franchir le portail. Le bourdonnement s'est éloigné. Peut-être les autels, la grande statue de Bouddha et les pierres empilées nous protègent-ils. La tension muette nous enveloppe comme une couette. Le soir ne se décide pas à tomber, comme retenu lui aussi par le magnétisme de l'endroit. Ce ne peut être un hasard si le temple s'est installé dans ce quartier reculé de Marseille. Un lieu de passage à la mémoire rongée par les immeubles, karcherisé par le soleil et la grisaille du progrès.

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EAN
9782234074156
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