Gilles Vervisch, Etes-vous sûr d’avoir raison ?

Gilles Vervisch, Etes-vous sûr d’avoir raison ?

 Schopenhauer : « Rares sont les hommes capables de penser, mais tous sont désireux d’avoir une opinion ».

 

            L’auteur agrégé de philosophie s’est lancé dans la démarche originale d’un stand-up drôle et accessible sur la question épineuse de nos certitudes et opinions. Cet ouvrage en est l’adaptation.

À une époque où chacun peut donner son avis sur les réseaux et avoir de l’influence en fonction de son nombre de followers plutôt que de son expertise, le philosophe disserte sur la notion d’opinion, de croyance, de certitude, de théorie et d’idéologie en s’appuyant sur les réflexions de Schopenhauer, de Descartes, Bergson, Mona Chollet ou Platon mais aussi sur des références de la pop-culture comme Game of Thrones, Matrix ou Assassin’s Creed. Il souligne l’effet Dunning-Kruger, du nom de deux psychologues qui ont montré qu’on était d’autant plus sûr d’avoir raison qu’on n’y connaissait rien, et inversement. Quand on s’y connaît un peu dans un domaine on mesure la montagne de connaissances qu’il reste à acquérir – ou l’art de parler de ce qu’on ne connaît pas (l’ultracrépidarianisme), comme le décrit aussi le philosophe et physicien Etienne Klein dans le tract « Le goût du vrai » dont je vous recommande vivement la lecture. 

Gilles Vervisch sillonne les voies du « vrai » à travers des sujets sensibles comme le patriarcat, le wokisme, le nazisme, les anti-vax et les complotistes – autant de thèmes qui mettent nos croyances/savoirs à rude épreuve et qu’il décortique avec intelligence, nuance et humour (et même parfois une pointe de provocation). Il est vrai que les discours mathématiques comme le théorème de Pythagore enflamment moins les passions.

A l’instar de Coluche selon lequel « l’intelligence, c’est la chose la mieux répartie chez les hommes, parce que, quoi qu’il en soit pourvu, l’homme a toujours l’impression d’en avoir assez, vu que c’est avec ça qu’il juge » (cité par Etienne Klein dans « Le goût du vrai »), Gilles Vervisch pense que personne ne fait le mal volontairement, parce ce que tout le monde croit bien faire. Tout cela est très relatif, parce qu’on juge toujours les choses par rapport à notre intérêt personnel. Aux méchants comme Dark Vador, on ne peut pas tant reprocher de faire le mal que de croire dur comme fer faire le bien ; il vaut mieux ne jamais être sûr, car personne n’est plus dangereux que celui qui est sûr d’avoir raison. Et pourtant, si l’homme est la mesure de toute chose, alors tout le monde a raison, et personne n’a tort – et si personne n’a tort, c’est soit le plus fort, soit la majorité qui l’emporte. Finalement, son approche de la vérité, c’est de penser qu’il existe, sinon des vérités absolues, du moins des vérités universelles sur lesquelles nous pouvons nous mettre d’accord ou discuter, tout en restant nuancé.

 

Nos certitudes – ou nos convictions – sont rarement le résultat nos propres recherches, d’abord parce qu’il y a une infinité de sujets, ensuite parce qu’à échelle individuelle on n’est pas compétent pour faire des recherches sur tout. L’opinion, c’est ce qu’on pense sans en être tout à fait sûr.

La certitude de type scientifique, c’est quand on est sûr parce qu’on a des preuves. Entre les deux, il y a la croyance, c’est quand on est sûr sans pouvoir le prouver. En sciences, si on en a les capacités, on peut toujours faire ses propres recherches, et on devrait arriver aux mêmes résultats que les scientifiques ; on peut vérifier. Réduire la science à une croyance parmi d’autres est une erreur de raisonnement.

Puisque l’homme ne peut pas tout vérifier par lui-même à cause de la complexité des matières, il a forcément une image du monde qui allie ce qu’il a appris, l’expérience des autres et la sienne. Ne se fier qu’à un seul de ces trois axes le mènerait à une vision biaisée du monde qui l’entoure. Les savoirs accumulés depuis des siècles par les autres et dont on hérite assurent le lien social de nos communautés. Avoir des doutes sur cet enseignement traditionnel peut être tout à fait raisonnable, tant qu’on ne le rejette pas par pur esprit de contradiction. C’est d’ailleurs la démarche de René Descartes, qui tout au long de sa vie a voulu lutter contre les idées reçues en les confrontant aux théories scientifiques. Pour citer Etienne Klein dans « Le goût du vrai », il est naturel que celui qui « cherche » réfléchisse, argumente, hésite, et parfois se trompe – il ne peut pas répondre aux injonctions impatientes d’un public en attente de certitudes immuables. Au final, le propre de la démarche scientifique, c’est de ne jamais être sûr d’avoir raison, tout en faisant l’effort de montrer et démontrer ce qu’on affirme aux autres. Démontrer, et surtout pas ne se fier qu’à sa propre expérience – le regard extérieur ouvre l’esprit – en lisant, en écoutant. Alors qu’au contraire la remise en question systématique, et comme par principe, de tout discours officiel détruit le lien social, et enferme un peu plus chacun dans ses préjugés.

 

Enfin, je ne résiste pas à reproduire ici l’un des stratagèmes énoncés par Schopenhauer dans son livre « L’art d’avoir toujours raison » : « [Ce stratagème] consiste à mettre l’adversaire hors de lui : la colère étant mauvaise conseillère, il ne sera plus en état de former un jugement juste et de voir où est son intérêt. Le moyen le plus sûr de le faire sortir de ses gonds est de le provoquer ouvertement, de couper les cheveux en quatre, sans jamais reculer devant l’irrévérence. » On l’aura compris, il s’agit plus de prendre le dessus dans la conversation que de réellement avoir raison.

Horripilant !

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