Le siège de l'église Saint-Sauveur

Petrovic Goran - Lukic Gojko

SEUIL

Ce roman a marqué la littérature serbe de la dernière décennie du vingtième siècle. Malgré les apparences, Le Siège de l'église du Saint-Sauveur n'est pas un roman historique. L'histoire n'y est que le substrat d'une poétique puissante et originale qui transcende les limites des genres. Entre l'Occident et l'Orient, entre Rome et Constantinople, sur la ligne de fracture de la chrétienté, assailli d'un côté par les croisés, envahi de l'autre par les barbares venus de l'Est, un petit pays, la Serbie, cherche son chemin, lequel semble parfois ne devoir mener qu'au ciel, tant se dérobe sous ses pieds toute assise dans le monde. C'est ce qu'illustre la métaphore centrale de cette oeuvre, celle de l'église du Saint-Sauveur qui, avec le monastère dont elle fait partie, avec ses moines et la population réfugiée des environs, s'élève dans les airs pour échapper au pillage et au massacre de l'armée des Bulgares et des Coumans qui l'assiège. Le chef de cette armée, le redoutable prince Chichman, convoite une plume cachée dans la barbe du supérieur du monastère. Pendant 40 jours, la vie et la résistance s'organisent dans cette "arche" flottant entre ciel et terre, dont les fenêtres s'ouvrent sur le passé, le présent et le futur, la foi l'élevant et le doute la faisant retomber, tandis que sur terre l'ennemi déploie d'obscures sciences pour hâter sa chute. Le destin de ce monastère est une des trois principales lignes narratives, lignes entrelacées formant d'étranges croisements. La deuxième raconte la quatrième croisade, détournée de son but initial par la volonté du puissant doge de Venise. L'armée des croisés obtiendra les navires promis par la république à la condition de prendre, avant d'aller en Terre Sainte, la ville de Zara qui refuse la domination de la Sérénissime, et Constantinople, où se trouve une chose qui intéresse le doge plus que tout au monde : un manteau fait de dix mille plumes d'oiseaux. Or, il manque à ce manteau une plume, celle qui se trouve, on l'aura compris, dans la barbe du supérieur du monastère... Ces deux lignes narratives ont pour cadre le treizième siècle. La troisième relate la vie de Bogdan, enfant que l'impératrice de Byzance Philippa conçut et mit au monde en rêve, au treizième siècle, mais qui vit au vingtième. Pour éclairer cette distorsion temporelle, il faut dire quelques mots sur la fonction du rêve dans ce livre. De même que dans Soixante-neuf tiroirs, autre roman de l'auteur, la dimension réaliste du Siège de l'église du Saint-Sauveur se double elle aussi d'une autre dimension : celle du sommeil et du rêve, espace où les personnages se rencontrent et où le présent, le passé et l'avenir cohabitent. C'est ainsi que l'enfant du rêve de l'impératrice Philippa peut être confié à une nourrice qui vit sept siècles plus tard. Ce n'est là qu'un des nombreux mécanismes de la poétique très inventive de cette oeuvre.
Bogdan, tel un pont dans le temps, vivra avec des connaissances subtiles du siècle de sa mère et avec celles de sa propre époque. Le doge obtiendra dans Byzance dévastée la chose convoitée, mais incomplète, et la quête de la plume manquante ne finira pas de sitôt, entraînant guerres et massacres. Le Saint-Sauveur n'échappera pas à la chute, mais il demeurera un souvenir de son élévation, un sentiment de vertige spirituel, et des débris de son effondrement monteront quelques plumes. Plumes qui ne cessent de voltiger tout au long de ce texte : une plume d'ange - relique la plus précieuse du monastère ; les dix mille plumes, toutes différentes, dont est faite la cape aux pouvoirs miraculeux que recèle le trésor du palais impérial de Constantinople ; celles aussi que sept siècles plus tard ramasse le jeune ornithologue Bogdan dans une forêt au-dessus de laquelle tournoient les avions de l'OTAN. Celles, enfin, qui forment les traces écrites de la mémoire tout au long de ces siècles.

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EAN
9782020790154
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