QUAND LE REVE DESSINE UN CHEMIN (LIVRE + CD)

PERROT ETIENNE

FONTAINE PIERRE

CONCERTINO POUR LA NUIT DE NOQuel dessein poursuivons-nous, sinon de faire éclore le chant de l'âme? Les anciens alchimistes, nos prédécesseurs, n'avaient pas pour rien donné à leur grand oeuvre le nom d'art de musique. Changer les pierres muettes, massives, opaques que sont souvent les humains en instruments vibrants; pour cela, creuser les corps, les tendre de cordes faites d'une sensibilité affinée par l'exploration intérieure, jusqu'à ce qu'elles résonnent du souffle montant du fond, éveillé par le colloque d'amour: tel est le programme dont l'Alchimie, qui est la Nature créatrice, a fait de nous les exécutants. S'il se réalise, le fracas métallique de nos cités se doublera d'une musique secrète qui finira par le transmuer en harmonie, comme jadis les fauves furent apaisés par Orphée. Cette musique sera celle d'êtres frémissants au vent de l'inspiration, vivantes harpes éoliennes.Entrer dans la voie de la transformation avec un compagnon ou une compagne qui nous dirige vers nous-mêmes, c'est nous ouvrir à une irradiation, celle qui émane de la profondeur de l'âme. Une musique silencieuse naît alors, et c'est la musique des sphères que Pythagore entendait.En chacun, le chant possède un timbre et un registre originaux: l'unique souffle créateur, traversant des canaux multiples, se diversifie pour former une symphonie, une cantate d'amour. Il aura fallu pour cela et il aura suffi que des individus se placent dans un champ de vibrations qui est leur propre essence intime, bain de régénération et source de musique. On le nomme aujourd'hui, sans doute par antiphrase, «inconscient». Là, les instruments muets deviennent sonores. Le royaume des enchantements est désormais leur pays. La vie humaine devient mélodie, poème, danse de mort et de vie, danse d'amour, arrachée à la grisaille et à l'absurde, pour se faire valeur et signification, harmonie et parfum.Les alchimistes affirmaient comme ambition: «spiritualiser le corps et corporifier l'esprit». Pour moi, l'accent est maintenant mis sur le second terme: mon effort doit porter sur la descente de l'esprit et sa présence dans le domaine terrestre; la musique, art du ciel, doit s'incarner pour refleurir dans des corps devenus instruments dociles.Ceux qu'on appelle musiciens sont des anges qui nous font sortir dans l'invisible. Pendant les longues années d'obscurité, la musique me fut non seulement une porte, mais un véhicule, une puissante paire d'ailes me soulevant et m'emportant à mille lieues au-dessus de mes misères. Même si elle ne pouvait m'en libérer pour de bon, elle attestait la réalité d'un autre monde que, plus tard, l'alchimie m'apprendrait à changer, selon sa promesse, en ciel terrestre.Ces hommes m'ont fait approcher du secret dont Beethoven disait: «La musique est un savoir surpassant toute sagesse et toute philosophie». C'est avec gratitude que je pense à ces habitants d'Ailleurs qui ont fait de l'ignorant que j'étais leur concitoyen: avant tout, Beethoven, Mozart, Schubert, Bach (je les range dans l'ordre de ma chronologie personnelle). Les trois derniers m'ont ouvert le ciel, avec, chez Schubert, la tentation d'abandonner la terre; le premier, Beethoven, a contribué à éveiller en moi toute la puissance vitale que renferme l'homme et qui se ramasse, par moments, en aspiration à l'infini, telle la flèche du Sagittaire, patron astrologique de l'auteur de la Neuvième symphonie, qui est aussi le mien.Mais, autant mettre une mélodie sur un poème parfait me semble un pléonasme, autant il me paraît vain de commenter la musique par des mots et je reprendrai volontiers l'anecdote connue de Beethoven à qui l'on demande le sens de sa sonate et qui, pour toute réponse, la rejoue. Je m'effacerai donc pour laisser chanter des phrases qui ont éclairé mes ténèbres, charmé mon angoisse, ordonné mon chaos et m'ont prodigué leur consolation.Aujourd'hui, alors que ma carrière terrestre est bien avancée, la musique des anges a perdu une part de son attrait et je lui préfère le cantique des créatures terrestres. À présent, ce qui me touche le plus, ce sont peut-être les notes impromptues que lance, par intervalles, le rossignol du Japon trouvé un matin de septembre dans notre appartement où il était entré de nuit. Gouttes de lumière, rosée de miel, son chant est à l'image de notre oeuvre; il est divin et terrestre et goûté des seuls enfants.Il me ramène à mon adolescence rêveuse que berçait un air ancien évoquant le chanteur de nos nuits d'été.27 décembre 1982

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EAN
9782902707621
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