Marx quand même

Pena-Ruiz Henri

PLON

Extrait de l'avant-propos

Un itinéraire

Il ne faut pas regretter d'avoir rêvé d'un autre monde. Ni d'avoir consacré tout ou partie de sa vie à tenter de le faire advenir. On dit souvent qu'en France le plus grand parti politique est le parti des «ex»... des ex-communistes bien sûr. Karl Marx fut pour eux une référence. Il en fut également une pour ceux qui ne partageaient pas son projet politique, mais ne purent rester indifférents à ses analyses du capitalisme. Aujourd'hui que celui-ci s'est mondialisé sans complexes ni contrepoids et que la caricature stalinienne du communisme a disparu, il est temps de lire et de relire une oeuvre qui fut trop souvent reléguée voire occultée par les commentaires et les caricatures. Il y a peu, j'ai voulu y inciter sous une forme originale propre à faire connaître l'oeuvre écrite du penseur. Celle d'un entretien imaginaire au cours duquel je pose à Karl Marx les questions que m'inspire entre autres notre époque et auxquelles il me répond par des extraits de ses textes. Ainsi est née une sorte d'anthologie destinée à mettre en évidence la philosophie, les travaux d'économie politique et le projet d'émancipation multiforme proposé par l'auteur du Capital {Entretien avec Karl Marx, Editions Pion, Paris, 2012). Je remercie Jean-Claude Simoën de m'avoir donné l'occasion d'un tel ouvrage d'initiation.
Le présent livre, plus ample, est d'une autre nature. Fruit de nombreuses années de travail, il s'attache à dégager sur des points décisifs les apports de Marx à une compréhension vive de notre monde. Par une réflexion sur l'ensemble de sa pensée, il vise à mettre en évidence la pertinence de ses analyses concernant l'étude du capitalisme et de ses effets, mais aussi l'esquisse d'une alternative. La mutation des conditions ne me paraît pas opposable à une telle démarche, sauf bien sûr dans l'idéologie dominante des nouveaux maîtres du monde, soucieux qu'ils sont de présenter le capitalisme dérégulé comme un horizon indépassable.
Depuis longtemps, et notamment depuis l'effondrement de l'Union soviétique, je cherchais comme beaucoup à comprendre comment un idéal d'émancipation non seulement du prolétariat mais aussi de l'humanité tout entière avait pu être à ce point déformé, trahi, caricaturé, par la dérive stalinienne, qui n'affecta pas que l'Union soviétique, mais aussi l'ensemble des pays qui s'affichaient comme construisant le socialisme et le mouvement communiste international.
Un peu d'histoire donc.
De la révolution d'Octobre au Front populaire, de la Résistance à la Libération, et jusqu'à la fin des Trente Glorieuses, l'adhésion au communisme s'est affirmée massivement, souvent accompagnée d'une étude attentive du marxisme qui en constituait la théorie. Pour beaucoup, il s'agissait ainsi de faire sien un idéal de lutte contre l'exploitation et, à travers lui, de promotion de l'humanité. La lutte contre le capitalisme n'impliquait aucune haine des capitalistes en tant qu'hommes, mais un rejet radical du système économique et social dont ils étaient, en raison de leur position de classe, les bénéficiaires. Exemplaire à cet égard leur paraissait l'avertissement de Marx dans lequel il précise, au tout début du Capital, qu'il ne s'en prend pas au capitaliste comme être humain, mais à la fonction que lui assigne un certain mode de production. Bref, ce découplage du système et des personnes traçait les contours d'un humanisme authentique, affranchi des naïvetés de l'humanisme classique, mais nourri de ses perspectives et désormais vecteur d'émancipation universelle. L'Internationale chantée à pleins poumons mentionnait clairement le «genre humain».

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EAN
9782259218474
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