Plans des pistes. Les domaines skiables de France dessinés par Pierre Novat

Extrait

Pierre Novat a peint toute sa vie se disant qu'un jour, il peindrait pour de bon, qu'il ferait enfin un panorama d'artiste... De fait, ce livre le surprendrait : ce ne serait évidemment pas le bon moment ni le bon thème, pas le bon angle, quant aux choix de panoramas, je n'ose même pas imaginer sa fureur, feinte ou pas, qui l'aurait immédiatement fait se jeter sur ses cannes à pêche. On ne l'aurait pas revu de la journée, laissant augurer d'une soirée maussade, mais il n'aurait rien fait pour que ce livre ne se fasse pas ou soit bien différent. Il aurait enragé comme on joue un rôle de salaud au théâtre, sans être surpris par les applaudissements à la tombée du rideau et les commentaires élogieux de la critique. La peinture de Pierre Novat a su se rendre indispensable aux domaines skiables de France sans que cet artisanat ne parvienne à pleinement satisfaire l'artiste. Cette velléité d'enfin peindre «son oeuvre» est pour lui comme celle de l'auteur prolifique qui écrit sur commande en pensant à «son livre», celui qui va surprendre le monde, l'antithèse de l'artiste maudit incompris par un public forcément inculte et aveugle. La peinture de Pierre est un best-seller digne des plus grands : il s'en vend plus que ce que l'artiste peut produire alors qu'elle est reproduite en dizaine de millions d'exemplaires. Reste ce paradoxe, il s'est retenu de peindre pour lui et par lui, de se mettre à nu face à la pire des critiques : ses propres yeux. Étudiant aux Beaux-Arts où il a suivi la filière dédiée à la décoration, il s'est inconsciemment interdit de peindre, de créer ses toiles, sans jamais formaliser ce blocage, ce refus de l'obstacle. Probablement qu'il l'a vécu à la manière d'une histoire d'amour platonique, idéalisant un désir réciproque parce qu'il s'était mis en situation de réellement pouvoir devenir un artiste. Sa meilleure amie de l'époque, Jeanine Roulleau, résume parfaitement ces années : «c'était un camarade formidable, sérieux, studieux et rigolo, toujours heureux à sa table à dessin, mais il n'assumait pas pleinement sa peinture. Entre nous, il n'y a jamais eu le moindre problème, mais il faut dire que dans ce métier, tout le monde critique tout le monde ! Comme Pierre était plus sensible que la moyenne, il avait cette fragilité.» À la fin de sa vie, il s'est pourtant jeté avidement sur des toiles où, nouveau paradoxe de ce personnage hors norme, il peint des paysages dans un quadrillage géométrique un peu à la manière de Mondrian avant l'abstraction, chaque carré étant autonome mais dépendant de l'ensemble, ou plus vraisemblablement, selon certaines études de la montagne Sainte Victoire effectuée par Paul Cézanne à la fin de sa vie, laissant présager les prémices du cubisme. Ce cousinage n'enlève pas à la peinture de Pierre un respect certain des perspectives, lui qui pourtant s'amusait tellement à tordre la réalité dans ses plans de pistes, à rendre visibles les vallées invisibles et réalistes les distorsions les plus improbables. Il aurait pu exposer, avec les honneurs, dans les plus grandes stations. Les services de presse de ces grosses machines se seraient mis en action, drainant la presse et les officiels, le Champagne et les petits fours. Il ne l'a pas fait, n'a pas voulu. Il n'a pas osé surtout. L'homme est complexe, à la fois fragile et sûr de lui, partagé entre une filiation qui lui impose une tradition contrariée de la peinture (son père et sa mère peignent avec plus ou moins d'ambition et surtout, de soutien familial), et la volonté d'exister en artiste, une posture qu'il prendra une fois assise sa réussite sociale, à la fin des années 1980 lorsqu'Albertville est désignée ville hôte des futurs Jeux olympiques dont il a fait gratuitement le plan de situation à la demande de Jean-Claude Killy. Un acte gratuit qui lui rapporte une petite fortune en droits d'utilisation ! Dès lors, complètement à contresens de la mode, il se met à porter les cheveux longs, à jouer à l'artiste, lui qui a devancé l'appel pour effectuer son service militaire dans les parachutistes jusqu'à en devenir instructeur.