Registres Hors-série N° 3 : Beckett et les autres arts

Naugrette Catherine - Protin Matthieu

SORBONNE PSN

Pour Pierre Chabert, in memoriam
Marie-Claude Hubert

Je voudrais rendre hommage ici à Pierre Chabert dont la participation à cette journée consacrée à Beckett, en ce 15 janvier 2010, a été la dernière apparition en public. Comme à son habitude il a parlé de Beckett avec l'enthousiasme chaleureux qui l'animait, avec la passion qui le caractérisait, communiquant à tous ceux qui l'écoutaient ses propres émotions face à l'oeuvre d'un des plus grands écrivains du XXe siècle, explicitant les problèmes concrets de mise en scène auxquels il s'est souvent trouvé confronté. Ayant eu l'occasion à maintes reprises depuis des années de l'inviter dans mon séminaire, j'ai chaque fois constaté le même émerveillement des étudiants qui l'écoutaient et qui éprouvaient le sentiment de pénétrer grâce à lui au coeur de l'écriture de Beckett. Il était un fabuleux passeur.
Je voudrais retracer le parcours de cet artiste dont le nom est étroitement associé à celui de Beckett. Tout jeune, Pierre Chabert (1938-2010) collabore pour la première fois avec lui en 1966 pour la mise en scène de L'Hypothèse de Robert Pinget au Théâtre de France, pièce dans laquelle il est seul en scène tandis que son visage apparaît, projeté en fond de scène dans des images agrandies et démultipliées. Intitulé Pinget Beckett Ionesco, le spectacle comprenait, outre L'Hypothèse de Pinget, Comédie et Va-et-vient de Beckett, Délire à deux et La Lacune de Ionesco. C'est alors qu'il entre dans la Compagnie Renaud/Barrault. En 1975 Beckett le met en scène au Petit Orsay (dans le spectacle où Madeleine Renaud crée Pas moi) dans La Dernière Bande, spectacle qu'il ne cessa de jouer depuis avec un immense succès dans le monde entier, aux États-Unis, en Angleterre, en Irlande, au Japon, en Espagne, en Allemagne, à Prague, etc., spectacle à propos duquel Beckett disait: «J'aime le Krapp de Chabert.» Il a créé avec cette pièce un nouveau type de jeu puisque, dans un tel spectacle, l'acteur doit surtout écouter, ce qui est contraire à la formation des acteurs et va à l'encontre de toutes les habitudes de jeu. En 1981 dans le cadre du Festival d'automne il joue Hamm dans Fin de partie, dans la mise en scène de Sandra Solov. Pendant les répétitions, il a de nombreuses discussions avec Beckett sur la pièce, notamment sur l'importance du comique, Beckett ne supportant pas les interprétations sombres de ses pièces. En 1983, il crée au Théâtre du Rond-Point Berceuse et Impromptu d'Ohio et monte Catastrophe, avec Jean-Louis Barrault, Michael Lonsdale et Catherine Sellers. L'année suivante il adapte avec Beckett Compagnie qu'il porte à la scène avec Pierre Dux comme interprète, adaptation scénique que reprend Gontarski pour sa mise en scène à Los Angeles. En décembre 1985, il crée à Marseille au Théâtre de l'Avant-Scène (théâtre aujourd'hui disparu, situé 59 Cours Julien) un spectacle à la fois drôle et lyrique, intitulé Voix de Samuel Beckett, sorte de récital poétique dans lequel il dit des extraits de textes narratifs (Molloy, Mercier et Camier, Malone meurt, Têtes mortes), de textes de théâtre {Fin départie, Cendres), et des poèmes, donnant à entendre merveilleusement la «voix» de Beckett, spectacle repris au Théâtre du Rond-Point en 1987. Toujours en collaboration avec Beckett, il adapte également Mercier et Camier qu'il met en scène en 1986 à la Maison des arts de Créteil. Il crée en cette même année en hommage à Beckett pour ses quatre-vingts ans Quoi où au Théâtre du Rond-Point, reprenant dans le même spectacle Berceuse, Impromptu d'Ohio et Catastrophe (David Warrilow remplaçait Michael Lonsdale) et il redonne Compagnie au Théâtre de l'oeuvre. Il disait souvent qu'une des choses qui le fascinaient particulièrement dans la réalisation scénique des oeuvres de Beckett, c'était de pouvoir jouer sur des degrés très différents d'immobilité et de résoudre tous les problèmes que cela pose aux acteurs. Selon lui, partant d'une telle contrainte, difficulté au départ, mais prodigieuse richesse si elle est utilisée comme un tremplin, l'acteur accède à un jeu beaucoup plus concentré. Le moindre mouvement devient alors événement scénique. Beckett, grâce à des contraintes de plus en plus grandes, découvre de plus en plus de possibilités pour l'acteur.
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EAN
9782878545562
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