La route de Beit Zera

Mingarelli Hubert

STOCK







Extrait



Sous le lac de Tibériade, près de Beit Zera, il y avait une maison, et dans cette maison vivaient un homme et une chienne. L'homme s'appelait Stépan Kolirin. La chienne n'avait pas de nom et elle était si vieille qu'elle n'avait plus la force de se dresser sur ses pattes. Tous les matins, il la retrouvait au milieu de la cuisine où elle dormait, couchée dans son urine, et Stépan était de jour en jour plus malheureux de la voir souffrir ainsi.
Il y eut ce matin-là. L'odeur le frappa dès qu'il entra, et bien qu'il y fût habitué, il eut un haut-le-coeur. La chienne le regardait et clignait des yeux comme s'il y avait eu trop de lumière. En réalité, elle avait un peu peur. Elle se souvenait que lorsqu'elle avait commencé à uriner la nuit, le matin, il l'engueulait. C'était fini depuis longtemps. Il ne l'engueulait plus. Pour quoi faire ? Mais elle s'en souvenait, elle craignait toujours qu'il élève la voix en entrant.
Il s'approcha, s'accroupit, et, comme tous les matins, il lui frotta le dessus de la tête pour lui montrer qu'il n'était pas en colère. Il la prit dans ses bras, la souleva et la ramena sur sa couverture. Trois mètres séparaient sa couverture de l'endroit, toujours le même, où elle urinait. Il se demandait où elle trouvait la force de les parcourir. Sans pouvoir se dresser sur ses pattes, ce devait être difficile. Ce devait être une distance incroyablement longue puisqu'elle manquait de force pour la refaire à l'envers.
À nouveau il lui frotta le dessus de la tête et pour finir laissa sa paume sur elle et lui sourit. Il se releva, et il pensait : «Qu'est-ce que je peux faire ?»
Il mit la cafetière sur le feu et alla chercher le seau sous la véranda. Il y resta un instant pour respirer l'air sain du dehors. De la brume coulait entre les troncs des arbres. Des oiseaux cherchaient leur repas, sautant dans cette brume comme des jouets à ressort. Au-dessus des arbres, l'air était clair. Il restait une étoile. Il vit la traînée d'un avion, et un petit oiseau perché tout en haut du plus haut des arbres. Il semblait bien seul là-haut. Ça le toucha de penser qu'avec ses quelques grammes, cet oiseau avait davantage de force que la chienne. Il rentra avec le seau et alla le remplir à l'évier.
Tandis qu'il épongeait l'urine, la chienne l'observait, la tête posée entre ses pattes.
- Ça va, dit-il. Ça m'emmerde, mais ça va.
Elle avait cessé de cligner des yeux. Elle le fixait à présent. Il rinça le plancher plusieurs fois, sortit pour jeter l'eau et lorsqu'il revint la chienne dormait. Maintenant il y avait une grande tache humide au milieu de la pièce. Dans quelques heures, elle aurait séché et on ne la verrait plus. Mais contre l'odeur, il n'y avait rien à faire. L'urine qui s'infiltrait entre les lames de bois n'avait pas le temps de sécher d'une nuit à l'autre. C'était une odeur acre et forte qui lui rappelait celle de l'ammoniaque.
Il s'accroupit devant la chienne. Elle faisait de légers mouvements avec ses pattes de devant. «Peut-être qu'elle court. Pourtant c'est loin la dernière fois, il y a longtemps, mais elle s'en souvient.»
Il se redressa. La chienne continuait à bouger ses pattes. «Sûrement qu'elle court. Tant mieux.» Il éteignit le feu sous la cafetière, se versa le café et sortit.



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EAN
9782234078109
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