La panique identitaire

Macé-Scaron Joseph

GRASSET







Extrait



Extrait de l'introduction

Verra-t-on bientôt une carte identitaire prendre la place de notre vieille carte d'identité ? Devra-t-on décliner nos origines sur quatre générations, notre ethnie, notre religion afin que nos contemporains nous rangent dans une boîte, prélude à l'ultime rangement que nous connaîtrons tous ?
Ceux qui réduisent la percée des listes nationalistes (lors des dernières élections européennes) au déclin irréversible d'un continent travaillé par la haine de soi, ceux qui ramènent le triomphe de l'hindouisme en Inde à un particularisme en sari, ceux qui imaginent que le monde musulman est le seul à devoir relever le défi de l'intégrisme religieux, ceux qui pensent que la cathédrale russe couronnée de bulbes d'or que Poutine s'apprête à construire en plein coeur de Paris n'a aucun lien avec son souci de refaire de Moscou la troisième Rome, ceux qui limitent le Tea Party à une version un peu plus à droite du parti républicain... Tous ceux-là n'ont rien compris à ce qui est en train de se jouer sous nos yeux.
Davantage que l'histoire politique, l'histoire des idées ne se répète pas, elle bégaie. Entre les deux guerres, nos clercs mirent vingt ans à comprendre que l'irruption totalitaire était un seul et même phénomène et qu'il était vain de trier entre totalitarisme fréquentable ou infréquentable, entre Rome et Berlin. Plus près de nous, les stratèges américains ont, semble-t-il, accepté l'idée qu'il était illusoire de vouloir dissocier les différentes formes prises par l'islamisme politique. Combien de temps faudra-t-il pour prendre la mesure de la panique identitaire qui envahit les esprits ?
Sois et éternellement demeure, surtout, garde l'étiquette que l'on t'a apposée et qui va t'accompagner durant l'existence. Telle est la prière qui s'élève, aujourd'hui, des temples anciens et des modernes : des édifices religieux et des hypermarchés. Cette injonction nous presse et nous oppresse. Nos sociétés sont devenues de gigantesques foires aux identités où il est désormais impossible de descendre du manège à moins de sauter dans le vide.
Le sujet n'est pas de faire ici le procès de l'identité. Pour éviter un grave malentendu, une précision s'impose d'entrée de jeu. Quoi de plus normal, de plus humain que de s'interroger sur soi ? Les Grecs voyaient dans ce questionnement la source de la philosophie, le fondement de la métaphysique, l'aube de la conscience intérieure. «Connais-toi toi-même !» est, si l'on en croit Platon, le plus vieux précepte gravé au fronton du temple de Delphes. Il a, en tout cas, traversé les siècles, devenant le cours le plus intérieur de la pensée occidentale.
Pourquoi ce qui a été pendant des siècles le mot clé de l'humanisme nous est-il un fardeau ? Que s'est-il passé pour que la question de l'identité se transforme en une colérique assignation à résidence ? Comment ces identités nationales qui étaient, dès le XIXe siècle, un formidable levier conduisant à la démocratie, à la libération et au Printemps des peuples, se sont-elles transformées en un outil provoquant l'abrutissement des masses et l'asservissement des individus ?



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9782246853947
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